Le rendez-vous des lettres #4 : dernière journée

Dernier billet consacré à #pnflettres, très très lacunaire, plus brouillon que ceux des deux premiers jours  à mon âge, on n’a plus l’habitude de la prise de notes quotidienne… Le Café pédagogique a publié, lui, de vrais et beaux compte-rendus.
Je n’ai pas assisté aux ateliers, même si finalement je le regrette  pour tout dire, j’avais pris trois jours de congés pour assister au Rendez-vous des lettres et je m’étais réservé le temps des ateliers pour des vacances en 140 minutes.

Compétences scripturales et nouvelles littératies : quels apprentissages pour le futur ?
Etienne Candel
Il n’y a pas de véritable écriture numérique, dans la mesure où ce que l’on écrit, même sur ordinateur, n’est pas vraiment numérique. Pourtant, c’est une notion qui mobilise, qui est devenue ordinaire. Elle s’est banalisée via une série d’objets habituels pour nous : à cause d’eux, on croit reconnaître un certain type d’écriture. Ces objets ordinaires conditionnent des pratiques, qui deviennent routinières elles aussi.
Double mouvement induit par ces objets ordinaires, inscrits dans une nouveauté qui se périme très vite : d’un côté, un champ numérique qui s’affirme et de l’autre, des pratiques d’écritures qui cherchent à s’émanciper d’une tradition.
Valérie Jeanne-Perrier
4 millions d’utilisateurs d’Instagram dans le monde.
C’est une écriture qui se dessine à travers Instagram.
La plupart des outils de l’internet se présentent comme des structures rigides qui préparent et encadrent les productions à venir (notion d’architexte). Elles sont aujourd’hui transformées en contraintes, qui sont pourtant libératrices pour les usagers.
La photo est un média, une écriture construite. C’est un travail du regard. On peut lire l’image comme une construction : focale, choix du cadre, etc. sont les étapes d’une écriture. L’outil propose un schéma d’écriture.
Rémi Mathis
Wikipedia a été créé en 2001. On a assisté d’abord à un mouvement de grande méfiance, qui a culminé en 2007, puis à une légitimation. Il se place aujourd’hui au 6e rang français et mondial des sites les plus consultés.
Il reste encore des détracteurs : Wikipédia détruirait les capacités de réflexion et favoriseraient les copier-coller, le plagiat (voir l’enseignant qui avait modifié la notice de Charles de Vion d’Alibray).
Les pratiques doivent évoluer chez les élèves mais aussi chez leurs professeurs : beaucoup de gens utilisent Wikipédia mais peu la connaissent vraiment, notamment les onglets historique et discussion).
D’un régime de la rareté de l’information à l’abondance : il faut désormais apprendre ce qu’est la recherche d’information (complémentarité papier/internet), savoir ce qu’est une source, comment on l’évalue et on l’intègre à un discours, apprendre comment on rédige (notamment en collaboratif).
Avantages pédagogiques : le texte sur wikipédia est utile, il sera lu (responsabilité). Apprendre à écrire de manière correcte pour être utile aux autres et respecter les règles est indispensable.
Cadre particulier de l’écriture sur wikipedia : on sait qu’on va être lu, donc on est attentif (citations, orthographe, typographie).
Wikipedia : 20 millions d’utilisateurs par mois en France. Les élèves l’utiliseront de toute façon, aux enseignants de faire qu’ils sachent l’utiliser correctement.
Le livre papier est un produit fini, dont toutes étapes de la rédaction sont cachées. Sur wikipedia, toutes les étapes de la rédaction sont mises en valeur (connaissance en mouvement, discutée).
Gustavo Gomez-Mejia
Posture de jésuite : le plagiat est le démon mais il faut le comprendre pour pouvoir combattre l’adversaire.
Auctorialité vsreproductibilité. Fidélité vs originalité.
Le copier-coller n’est pas neutre.
Mémoire du copier-coller : deux bords textuels entre idéologie et culture. Vient d’un problème très ancien, qui est celui de l’intertextualité (Barthes : bord plagiaire et bord subversif).
Strates mémorielles autour du copier/coller :
1- figures anachronique du moine copiste, ultra fidélité récompensée,
2- Strict respect de la fonction auteur : auctorialité totémisée,
3- originalité érigée en valeur dominante (Gide, besoin d’originalité à tout prix) : reproductibilité dévaluée,
4- créativité posée comme valeur émergente : esthétique post-moderne du remix et du mashup : reproductibilité revalorisée.
Pratique banale du ctrlC/crtlV : est-ce une reprise respectueuse ? Un création postmoderne ?
Digital literacy :
1- accoutumance aux rythmes et routines intellectuelles des machines textuelles (invitation à s’approprier n’importe quelle oeuvre comme document-fichier).
2- Promesses décomplexées de l’intelligence collective (noblesse encyclopédique à toute sortes de données, souvent produites par des internautes pris dans les filets rhétoriques du partage).
3- Abondance des ressources susceptibles de plagiat (Persée, Cairn, mais aussi El rincón del vago) : autorités de facto. Face à cette offre, essor des outils anti-plagiats : solutions ad hoc.
La commodité du copier-coller, doublée d’un méconnaissance des régimes de citation, semble à l’origine de nombreux plagiats : un travail sur l’effort citationnel s’impose.
Il reste un travail important à entreprendre pour faire prendre conscience de ce qu’est un style rédactionnel, sur d’éventuelles anomalies éditoriales (balises résiduelles).
L’autorité des sources ne peut reposer que sur la popularité algorithmique de google ; les étudiants doivent discerner ce qui fait la qualité/crédibilité/scientificité d’une source.
Alexandra Saemmer
Concernant la citation, Antoine Compagnon a introduit les idées de Narcisse et de Pilate. La citation a elle-même constitué un mode de renvoi plus ambigu qu’il n’y paraît : c’est à la fois le modèle ambigu du miroir de Narcisse et en même temps l’empreinte de Pilate. L’auteur peut toujours se défausser en désignant les guillemets (ce n’est pas de moi, mais de l’autre).
Études humanistes et culture numérique
Aurélien Berra
Pour une définition, voir l’article d’Aurélien Berra.
L’expérience de la manipulation des corpus permet de déceler tous les avantages et les insuffisances des outils.
Digital humanities : appelées au départ humanities computing, c’est-à-dire l’informatique dans le champ des humanités. Le terme employé aujourd’hui a été demandé par un éditeur, c’est un terme marketing.
Willard McCarthy, Humanities computing (voir http://dhhumanist.org/).
Ce champ déjà constitué réfléchit sur lui-même et ses pratiques depuis une cinquantaine d’années. Il a marqué un tournant avec l’émergence du web : passage à autre chose que la simple computation.
En France, le terme utilisé est aussi humanités numériques mais aussi digital humanities (francisé !). On remarque que l’expression humanités digitales commence aussi à se répandre (notamment au THATCamp).
Intérêt du numérique : conserver cette dimension de calcul et insérer tout ce que le numérique change dans nos sociétés.
Mot humanités : discipline qui émerge ou coalition stratégique ? Plutôt un moment ou un mouvement, où il s’agit de réintégrer les traditions dans des pratiques nouvelles. Pluralité de langues, de disciplines et des futurs.

Pas de master ni de doctorats en France pour l’instant.

Je reporte ici quelques bribes twittesques, à moins qu’il ne s’agisse d’une remarque à la fin de l’intervention (ce qui revient un peu au même).
Pour Etienne Candel, envisager l’informatique en termes d’outils et d’usages permet d’évacuer les faux problèmes. Pour Aurélien Berra, l’étiquette humanités numériques est importante maintenant : c’est un moment, mieux un mouvement.

Michel Bernard
Aux Etats-Unis, les humanités numériques englobent le droit, mais en France ? De même, est-ce que les lettres appartiennent aux SHS ?
Le terme humanités numériques est un slogan opérationnel, qui permet de travailler ensemble.
Il faut sortir de la logique des pionniers : aujourd’hui, nous n’avons plus le choix d’adopter ou pas les technologies. La question est désormais de savoir comment les utiliser.
Les études littéraires par ordinateurs peuvent être envisagées selon 3 directions : 1- constitution de corpus : les établir, présenter, éditer. 2- diffusion des connaissances : publications en ligne, l’édition savante se met enfin à la diffusion en ligne des revues, colloques, etc. 3- création numérique : notre boîte à outils critique n’est plus pertinente pour juger des nouvelles créations.
Michel Bernard a expliqué qu’il enseignait le fonctionnement des bases de données, tristesse d’Olympio de la bibliothécaire…

Rendez-vous l’an prochain

Que dire pour conclure cette série de billets ? Que je ne regrette absolument pas le temps pris pour assister à #pnflettres. Voilà trois journées extrêmement enrichissantes qui mettaient l’accent sur bien des questions que je me pose aux quotidiens, en observant les pratiques des lecteurs. Plusieurs des interventions m’ont donné envie de m’inscrire en master 2, moi qui suis de la dernière génération des maîtrises.
C’est un comble, vu la qualité du wifi cette année, mais c’est le livetweet de l’année dernière qui m’avait donné envie d’assister au colloque. J’espère que les maigres tweets qui ont été publiés ces jours-ci piqueront la curiosité de quelques-uns et qu’ils viendront l’an prochain. Il faut ajouter que #pnflettres c’est gratuit, même si vous n’êtes pas enseignant ! C’est une chose si rare actuellement qu’elle mérite d’être soulignée.
Quelques regrets de bibliothécaire : si l’on exclut les collègues conservateurs qui intervenaient, je crois que les bibliothécaires dans la salle pouvaient se compter sur les doigts d’une main. C’est tellement dommage. Les enseignants du secondaire et les universitaires ont compris l’intérêt de travailler ensemble face aux mutations du numérique, et nous ?