Bibliothéconomie & Cie. - Dir. publ. et réd. en chef Cécile Arènes. - Paris : [s. n.], 2006 - ... .

Auteur/autrice : Cécile Arènes (Page 16 of 42)

L’intelligence de la vie a mis en nous une cadence que la vitesse a changée. Parce que nous ne voulons pas renoncer à la frénésie, nous nous dotons d’instruments supplémentaires pour la supporter. Et nous voici prolongés de téléphones et d’ordinateurs portables, appendices censés nous faciliter les choses, eux qui nous tiennent par le nombre fou de messages à traiter ou par leur incessante obsolescence. Car nous sommes dans le mythe d’un toujours plus indéfini, sans jamais pouvoir atteindre une satisfaction que nous plaçons de plus en plus haut. Il ne faut pas confondre aptitudes et intelligence. Ce que nous savons faire ne mérite pas toujours d’être fait.

La littérature, comme l’art tout entier, est la preuve que la vie ne suffit pas.

Antonio Tabucchi, citant Pessoa. Relevé dans la Quinzaine littéraire du 16 au 31 juillet 2010

Sortie des classes reloaded

Mes excuses auprès de ceux qui ont vu passer le précédent « Sortie des classes » dans leurs agrégateurs, l’insolent s’était auto-publié…
Le blog se met en pause estivale en ce qui concerne les billets professionnels. Bel été à tous :-)
Sans doute une année sabbatique pour Liber, libri, m. : livre l’année prochaine, beaucoup de raisons à cela, trop longues à détailler maintenant. Comme elle, je n’ai plus fait de mise à jour de WordPress depuis des mois… Et surtout l’envie de bloguer (ici) s’estompe progressivement tandis que l’impression de ne plus avoir de billets pertinents à publier se fait de plus en plus tenace. Si l’arrêt définitif semble prématuré, l’année sabbatique avec sa liberté de poster un « billet-carte postale » de temps à autre a son charme et permettra surtout de voir si ce blog doit rejoindre ou pas le cimetière des blogs
Énormément de questions à l’issue de cette année riches en rencontres professionnelles et en opportunités vraiment belles mais qui a aussi apporté son lot d’inquiétudes.
Entre autres, quel avenir pour les professionnels des BU, quelles nouvelles spécialisations, etc. ? Et quel avenir pour moi dans ce qui se dessine, quelle spécialisation, etc. ?
 
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Poindimié, Nouvelle-Calédonie, en juillet 2007.

Les faux nouveaux

Le billet de Silvère Mercier sur ce qu’il appelle la dérive commerciale de l’édition a fait l’effet d’une petite bombe dans la paisible biblioblogosphère. L’ouvrage évoqué dans son billet est annoncé comme une réédition sur plusieurs sites professionnels, il fait 25 grammes de plus que le précédent (d’après les informations données sur le site d’un libraire consulté ce jour), l’ISBN est différent. Sauf qu’à la lecture, il semble que le contenu n’ait gère varié.
Cet exemple a particulièrement choqué car il touchait un domaine que nous connaissons bien. Pourtant, il est symptomatique d’une pratique très largement répandue. Quelques pages en plus, une illustration ou une couverture différente constituent de parfaits prétextes à la mention « réédition » alors qu’une fois le livre en main, on s’aperçoit qu’il ne s’agit que d’une réimpression déguisée. L’édition étrangère ne fait guère mieux et certaines presses universitaires vont jusqu’à changer le nom de l’éditeur scientifique d’une histoire littéraire pour la faire passer pour une réédition quand la quasi-totalité des notices, elles, restent les mêmes !
La question qui se pose pour les acquéreurs est d’éviter ces pièges. Or ils ne vont pas en librairie puisqu’ils passent par des fournisseurs choisis au terme d’une procédure de marché public et les bibliographies commerciales courantes ne permettent pas de déceler ces fausses rééditions. Avec le temps, les acquéreurs chevronnés finissent par « renifler » certains de ces faux nouveaux ouvrages mais ils en laissent passer beaucoup d’autres.
Comment faire alors pour acquérir de vraies rééditions quand d’autres tâches réclament ceux qui font les commandes ? Comment choisir à la fois correctement et efficacement ?
Alors que j’allais mettre ce billet en ligne, une autre question me vient : que faire si l’on n’acquiert pas une fausse nouvelle édition, parce que nous jugeons qu’elle n’apporte rien à celle que nous possédons, et qu’un usager vient s’enquérir de l’absence de ce document ? Si l’usager a la chance de rencontrer l’acquéreur, il aura instamment l’explication mais sinon il y a de fortes chances pour que sa suggestion soit notée et finalement achetée.
Les pierres d’achoppement sont décidément nombreuses…

Petite histoire personnelle du web

Billet écrit il y a plusieurs mois, prévu pour être publié le 9 juin, sacrifié sur l’oral du concours et repoussé ensuite pour cause de billets urgents.
1999 : je vis en Nouvelle-Calédonie, sur la côté Est, dans un petit bourg de trois mille habitants. Pas de centre-ville, l’habitat est scindé en petites unités, ce sont les tribus. Les chemins pour s’y rendre sont en terre, nombre d’entre elles ne sont pas raccordées à l’électricité, ni à l’eau courante. Au village, nous sommes privilégiés de ce point de vue-là. L’eau, toutefois, n’est pas potable ; elle devient rougâtre à chaque averse. Cette couleur fait qu’on proscrit bien vite le bain, il reste le bain de mer dans le grand Pacifique, on n’a pas à se plaindre.
Mes deux seules occupations de l’époque sont le lycée et la plage. Je ramène des sacs entiers de livres de chaque virée à Nouméa, quatre heures de route, un col à traverser. Point. Le téléphone avec la métropole sonne parfois mais peu, les communications sont rares et si chères. Les retours au pays ont lieu une fois l’an. Heureusement que les vacances permettent de découvrir de nouvelles contrées. Je m’en rends compte maintenant, je m’ennuie beaucoup.
1999, donc, le premier ordinateur arrive à la maison. Nous l’installons dans la seule pièce qui ne voit pas la mer, pas un fait exprès, juste une question d’espace. A ce moment, tous les réflexes du papier sont encore là : on rédige les mails les uns après les autres comme on fait son courrier, puis on se connecte comme on allait à la poste. Le modem crachote à chacune des connexions. Il est en 52 Kbits, autant dire que le chargement d’une photo est long, très long. Quand elle arrive enfin, on s’émerveille, on s’ébaudit de cette magie qui nous rapproche de ceux qu’on a laissés, là-bas, dans le froid.
Je n’arrive pas à me souvenir si Google existe ou, du moins, si j’en ai connaissance. Je sais pourtant que je me suis servie d’un moteur pour trouver des informations sur Rafael Alberti, mort juste avant que je passe le bac. Peut-être Copernic, célèbre méta-moteur à l’époque.
2000 : Nouméa, la vie a changé. Je suis dans cette petite capitale de 100.000 habitants (à l’époque) au moment où elle bouillonne. Un théâtre ouvre ses portes et sa première saison est très belle. La FOL fait venir des artistes connus, attirés qu’ils sont par le lagon. Je peux aller au cinéma, ce qui me change de la séance trimestrielle de Ciné-brousse, projection sur le mur de la salle des mariages de la mairie d’un navet – pause au changement de bobine. C’est de cette façon que je verrai Titanic, mais au gymnase : un immense drap a été tendu, la salle des mariages était trop petite pour l’événement. Trois heures assise par terre, j’ai un souvenir larmoyant du film, de mal aux fesses.
2000, disais-je, je suis à la fac, je n’ai plus de CPE à supporter. J’appartiens à une association d’étudiants, je cours les manifestations littéraires de la ville et elles sont nombreuses et passionnantes. Je commence à me servir de l’ordinateur pour beaucoup de choses, administration de l’association, textes farfelus que je commets déjà (si jeune…). Je surfe de plus en plus, cherche des textes de loi, je connais le BO en ligne sur le DEUG par coeur, toujours limitée cela dit par les 52 Kbits. Ma documentaliste de reum est libérée à vie de la MAJ du RLR (fastidieuse mise à jour des classeurs du Recueil des Lois et Règlements qui rappellera sans doute quelques souvenirs à ceux qui ont connu les Jurisclasseurs papier), qui est maintenant accessible sur la toile.
2003 : Ariège, je suis revenue dans « mon » pays, j’en ai quitté un autre en y laissant une bonne partie de moi-même. Entre temps, la France est devenue grise, paranoïaque de l’insécurité. La monnaie a changé. J’ai l’impression d’être étrangère chez moi et d’être devenue une étrangère pour les miens, ça durera plusieurs années.
2003 est l’année où j’achète mon premièr ordinateur, à moi, avec les étrennes des cinq dernières années au moins. Je demande conseil et je me décide pour un Sony Vaio, écran 16 pouces, que je garderai cinq ans. J’y rédige ma maîtrise. C’est à cette époque que je prends l’habitude de taper quotidiennement. Ironie du sort, je n’ai pas Internet pendant ces mois ariégeois où j’écris sur le discours lyrique.
2003, Montpellier : je m’offre une connexion minimale dans mon antre d’étudiante. Pas de modem, je branche directement mon PC à la prise téléphone et je peux surfer, toujours en 52 Kbits. A cette époque, je prépare le CAPES et l’agrég. Je me suis imposé un rythme de travail effréné, qui portera ses fruits pour le CAPES. Dans cet emploi du temps de métronome, je m’accorde une pause Internet le mardi soir. C’est le jour où j’ai neuf heures de cours, dont l’ancien-français. Je suis incapable de passer la soirée à travailler le mardi, donc je surfe un peu et je travaille quand même, un peu aussi. La deuxième pause Internet hebdomadaire a lieu le samedi matin, avant le marché. Le samedi est mon jour de « repos », je ne travaille que quatre heures au lieu des huit du dimanche.
Ma pratique d’Internet à ce moment-là s’oriente un peu plus vers le surf, je passe mon temps à regarder essentiellement des sites… d’élevages de chats. Il faut dire qu’à ce moment-là, je ne connais pas le SUDOC, je ne sais pas ce qu’est le PEB et je n’ai pas idée qu’il puisse exister des périodiques électroniques.
2005, juillet : je me suis plantée à l’agrég, je n’ai plus d’espoir pour ce concours et je suis vraiment désagrégée. J’ai le CAPES mais je sens bien que le métier vers lequel il me mène n’est pas fait pour moi. Je me suis abonnée depuis quelques mois au Monde, qui me donne accès au Monde.fr. C’est là que je découvre la toute petite communauté des blogueurs abonnés. Je me décide à ouvrir mon blog. Rien de personnel, j’ai trop peur à l’époque, je me crée un petit monde où je raconte des histoires de chat : le chat Loupé, notre président de l’époque, a maille à partir avec son ministre de l’intérieur, le bien nommé chat Timent (notre président actuel). A la lenteur du bas débit, je surfe de plus en plus, je commente les billets des autres.
2006, le Gers : j’ai quitté Montpellier après ma démission du CAPES et me suis rapatriée, avec le chat (fonction conative du surf sur les sites d’élevage…), chez mon reup. Je travaille sur les cours du CNED pour le concours de bibliothécaire que je n’aurai pas.
C’est l’année où je me crée un Netvibes et où j’ouvre liberlibri. Mon Netvibes a un onglet, il doit contenir une vingtaine de flux, pourtant j’ai l’impression d’être passée à la vitesse supérieure. Bibliobsession a comme avatar un poussin jaune, Marlène tient Biblioacid avec Nicomo. Je suis toujours en bas débit.
Sur liberlibri, je ne dévoile pas mon identité, je pousse la prudence jusqu’à faire attention à ne pas utiliser d’accords du participe des verbes du premier groupe pour éviter qu’on sache que je suis une femme ! Je crée le blog comme vitrine de mon apprentissage en me disant qu’il témoignera de mon assiduité dans la préparation du concours de bibliothécaire. En effet, je fais dans ce cadre beaucoup de demandes de stage, on me répond invariablement : « attestation d’assurance fournie par la fac ou par l’ANPE ». Je ne suis plus étudiante, je n’ai pas droit au chômage. Je vais faire du bénévolat à Bibliothèque pour tous où je couvre essentiellement des livres. Il y a des fiches papier, une équipe de plus de 70 ans, je me sens comme un OVNI. Heureusement que je me prends au jeu du blog, sur lequel j’écris de plus en plus.
Je lis énormément à cette époque : des livres, des revues, des livres, des revues, des livres ; j’écris sur ce que je lis. Les deux me deviennent indissociables et indispensables très rapidement.
Bibliopedia m’ajoute à sa liste de biblioblogs. Cette reconnaissance de mon labeur m’enchante.
2006, Bordeaux. J’ai réussi à entrer à l’IUT Métiers du livre. La déception sera grande mais je ne le sais pas encore. Je m’offre du haut débit ! Seulement, Vaio 1er du nom est en bout de course et rame, ce qui me ramène à un temps de chargement des pages long, très long, trop long. Je peste beaucoup à cette époque, d’autant que la veille a pris une place importante. Je suis encore très disciplinée. Lorsque je reviens de l’IUT, je prépare ma pitance et celle du chat, puis je me mets à travailler sur mes cours. Je n’allume l’ordinateur qu’après avoir fini le travail courant. J’aime de plus en plus la lecture sur l’écran, je passe des heures à regarder tout et n’importe quoi. Je découvre le chat, pas le félin, mais msn.
Je ne sais plus à quel moment je délaisse netvibes pour google reader, ni si c’est cette année-là que j’installe firefox pour la première fois.
2007, Bordeaux toujours. J’ai été contactée par un certain Risu qui me dit être à l’IUT comme moi. Nous jouons à cache-cache un moment avec nos pseudos avant de nous rencontrer dans la vraie vie. Ironie du sort, il a fallu nos blogs pour qu’on se connaisse !
2008, Paris. Je vis dans cette ville du Nord (pour moi) depuis quelques mois déjà. Je change enfin Vaio 1er pour Vaio 2 grâce à un prêt à taux zéro de mon assurance (je le paie encore…). Avec Vaio 2 et le haut débit, je découvre le monde du web à la vitesse du son, bonheur. J’ai définitivement abandonné Netvibes pour Google reader, j’archive dans Delicious, je fais de plus en plus de veille et j’écris parfois jusqu’à trois billets par semaine.
Janvier 2008 : un peu dépitée par mes longues heures de bulletinage, je publie un billet farfelu dont je ne mesure absolument pas les conséquences. C’est le début de tout ! C’est aussi le moment où l’on commence à me traiter de geek et de droguée du web. Tant pis, j’assume tout en prenant soin de garder le contact avec les lectures-fleuve et la RL, quoiqu’ils en disent
2009 : ce blog figure sur le Netvibes de François Bon, je suis aussi contente quand je m’en aperçois que lorsque j’apprends ma réussite au concours de BAS. C’est d’ailleurs son billet sur les dictionnaires qui m’a fait repenser à ces onze ans de web.
2010 : je ne consulte plus les dictionnaires ni le journal sur papier. J’ai le TLFi, le Littré et un dictionnaire des synonymes en favoris, je lis le Monde sur écran (j’ai d’ailleurs supprimé l’abonnement papier, à la suite de problèmes de livraison, mais j’avoue continuer à tourner les pages du pdf – je ne me retrouve pas dans le site où j’ai la sensation de toujours passer à côté d’articles), j’ai acquis un netbook qui me suit presque partout pour pouvoir écrire en toutes circonstances. Mon écriture a changé depuis Montpellier quand je passais les concours de l’enseignement : à cette époque, j’écrivais bien, de belles phrases longues bien structurées avec les adjectifs justes. En entrant dans le monde du travail, mon temps d’écriture et de lecture s’est réduit comme une peau de chagrin et mon style s’en ressent, ce qui m’attriste énormément car j’aime plus que tout les jolies phrases. Je m’aperçois aussi que depuis que je twitte, je fais des phrases plus courtes lorsque j’écris !  J’entrevois une solution pour pallier ce problème de style, j’en reparlerai le moment venu.
Finalement, si j’ai la sensation de manquer de temps pour tous les projets que je voudrais mener à bien,  je suis enchantée de tout ce qui m’arrive grâce à, finalement, cette histoire du web.

Facebook, première génération

Ayant eu de plus en plus de difficultés à gérer les demandes de contacts professionnels de personnes que je n’avais souvent jamais rencontrées sur Facebook, je me suis interrogée sur ma pratique du réseau et sur la meilleure solution pour pouvoir profiter de ces potentialités sans entretenir ce mélange des genres public/privé qui m’agaçait au plus haut point.
Un tantinet d’histoire
Je dois faire partie de la première génération d’étudiants qui ont créé un Facebook. En plongeant dans les archives de mes mails, je retrouve la trace de mon inscription qui date d’août 2007. Je me souviens à l’époque d’avoir tâtonné, créant d’abord un premier compte très lisse (prénom : Liber ; nom : Libri) avant de constater qu’il n’y avait aucun professionnel sur ce réseau, sauf Manue bien sûr, grande exploratrice de la toile. Je suis donc revenue à un compte à mon nom, sur lequel je n’ai eu jusqu’à mon arrivée à Paris que mes « vrais » amis.
Depuis quelques mois, je reçois énormément de plus en plus de demandes de contacts de collègues bibliothécaires dont j’ignorais l’existence (désormais je réaiguillerai sur LinkedIn pour le réseau et sur Twitter pour la discussion), de demandes d’ »amis » de bibliothèques. Jusqu’à maintenant, je les avais acceptées. J’ai fini par en supprimer un certain nombre car le fil des statuts s’apparentait à Biblio-fr quand il était moribond : ne s’y trouvaient plus que des annonces pour m’inviter à des tapas littéraires à la médiathèque de Pétaoutruc-les-Pruniers, des informations sur les  SIGB, etc. Conséquence, mes vrais amis étaient noyés dans le flux. Et cela, je ne le veux pas.
Sans y étaler toute ma vie, il y a dans mes statuts Facebook force détails sur l’existence de mon félin cataleptique, des idioties, etc. Autant de choses qui ne mettent pas en péril mon identité numérique mais que je n’ai pas pour autant envie de partager avec tout le monde. Que je m’explique, pour moi Facebook est un peu comme un verre pris à un café, on sait qu’on est n’est pas seul, on peut raconter des bêtises, des anecdotes personnelles à ceux avec qui on se trouve, tout en gardant une limite qui sied à un lieu public.
D’où problème…
Je n’ai aucune envie aujourd’hui – plates excuses – de connaître la dernière animation de Pétaoutruc-les-Pruniers, ou la dernière version du SIGB Catalogator. J’ai juste envie de profiter des potentialités de l’outil pour savoir ceux que deviennent ce que j’ai quittés il y a bien longtemps et qui vivent aux antipodes.
Bien sûr, on me rétorquera qu’il y a les listes, seulement elles ont leurs limites, par exemple celle d’interdire ou pas le mur.
Se pose alors la question de créer deux comptes : mais sous quel nom s’inscrire ? Le réseau personnel comme le réseau professionnel ne connaissent que le nom qui est le mien, et je n’en ai qu’un. Que faire ensuite des collègues devenus des amis et des amis devenus des collègues (et restés amis !) ? Que faire enfin de certains compagnons du numérique, qui au fil du temps se sont mis à compter beaucoup ?
Et une solution pour l’instant satisfaisante
Après avoir beaucoup tergiversé, j’ai finalement créé un second compte  exclusivement professionnel sur lequel j’ai demandé à tous mes contacts professionnels de bien vouloir migrer. Pour les différencier, j’ai « espagnolisé » mon patronyme sur mon compte personnel (nom du père et de la mère) pour pouvoir disposer de mon nom tel que tous mes collègues le connaissent sur le compte professionnel. Pour l’instant, sauf quelques redirections à effectuer, cela semble fonctionner relativement bien. Enfin, sur ce compte pro, je peux poster à loisir des informations qui intéressent les collègues sans spammer mes amis non bibliothécaires.
Le flou entre les frontières professionnelles et privées induit par les réseaux sociaux me semble de plus en plus pesant mais la solution des deux comptes peut permettre de l’atténuer..

« Mémoires du web – Le web à la première personne : quelles traces conserver ? »

A la BnF, le 17 juin 2010, l’après-midi était animée par Arnaud Laporte de France culture.
-Récits de soi
Philippe Lejeune, APA
En 1999, on dénombrait 68 journaux personnels. C’est un paysage qui a déjà disparu. Quand Philippe Lejeune a commencé à travaillé sur le sujet, il a eu l’impression d’être à la fois un pionnier et un archéologue, face à une réalité vivante et à un paysage fantôme qui s’évaporait au fur et à mesure. Les journaux ont souvent disparu, incinérés d’un coup de souris. Pour lui, l’espace a remplacé le temps et pour reprendre Régis Debray, la communication a remplacé la transmission.
La forme même du blog, par son ordre antéchronologique, favorise cette absence de transmission, la nouveauté relègue le passé dans l’oubli. Toutefois, la sauvegarde de tout aboutirait au chaos. En 1999, rares étaient ceux qui se souciaient des journaux en ligne. Un orphelinat avait été créé par « Mongolo » [orthographe approximative], un diariste qui s’est préoccupé très tôt de la sauvegarde de ces journaux. Mais les orphelinats sont eux-mêmes mortels, ce qui a conduit à la création de l’APA.
Très vite, le constat était que l’APA n’était pas en mesure de réussir la sauvegarde des journaux en ligne seule, d’où partenariat avec la BnF.
Christine Genin, BnF
La BnF, par le biais d’un robot nommé Heritrix, procède à des collectes larges automatisées sur le net pour les domaines en .fr et elle organise également des collectes plus ciblées, en fonction de thématiques (comme celle sur les sites concernant les élections). Des bibliothécaires sont chargés d’établir des listes de sites pour des collectes plus précises, environ 20.000 sites à l’heure actuelle.
Les blogs, carnets de voyages et autres qui sont reliés à une discipline précise sont collectés dans les départements. Ceux qui ont une dimension personnelle échappaient au classement disciplinaire de la BnF et c’est pour cette raison qu’ils sont collectés directement par le service du DL du web.
Bernard Massip, APA
La BM d’Ambérieu offre un espace à l’APA. L’association publie une revue « La faute à Rousseau ».
Pour la collecte, l’APA procède souvent par la consultation des blogrolls des blogs déjà connus mais elle ne s’y limite pas. Les sites sont sélectionnés selon des critères de durée (au moins un an) et de qualité d’écriture. Il s’agit de sites personnels, pas forcément intimes, mais avec une expression de la subjectivité de la personne. Dès qu’une forme d’écriture est singulière ou que le thème sort de l’ordinaire, le blog est proposé pour l’archivage (exemple : Le paysan heureux). Les blogs sont classés par catégories : intime relationnel (vie intérieure), culturel, air du temps/société politique), convivial familial, art de vivre/loisirs (mode, beauté, déco, bricolage, cuisine), graphique.
L’APA est confrontée à deux tensions contradictoires : le droit à la mémoire et le droit à l’oubli. Le droit à la mémoire est important pour le blogueur lui-même (souvent la perte du site). La situation se révèle paradoxale pour l’APA : en général, l’association répond à des demandes d’archivage. Pour ce qui est du web, c’est elle qui transmet à la BnF des adresses de sites sans que les auteurs en soient forcément informés. Finalement, la solution retenue est un communiqué qui explique ce qu’est le DL du net sur le site de l’association.
Beaucoup des premiers diaristes étaient dans une prolongation d’une pratique papier, donc dans une idée de conservation. Depuis, beaucoup de personnes sont dans une logique de communication immédiate. Bernard Massip pense qu’avec l’avènement des réseaux sociaux, ces personnes vont peut-être désinvestir les blogs.
Christine Genin
La BnF procède à deux collectes par an. A chacune de ces collectes, une cinquantaine de sites est ajoutée.
Christine Genin a ensuite montré des copies d’écrans de plusieurs des premiers journaux intimes mis en ligne sur le web, puis de blogs anciens. Elle a ensuite présenté le module de recherches pour les archives de l’internet. A l’heure actuelle, seulement 5% des documents archivés sont accessibles par ce module. Il n’existe pas encore d’indexation par sujet : pour pallier ce manque, la BnF a mis en place de parcours guidés. Quand un blog a eu plusieurs états successifs, les états successifs sont présentés sur le site des archives. Voilà qui me donne envie d’aller d’être accréditée pour la consultation de ces archives.
Gilda Fiermonte, Traces et trajets
Gilda Fiermonte est une blogueuse consciente des traces qu’elle peut laisser sur le web, elle n’a donc pas été surprise ni gênée de savoir que son blog était archivé par la BnF. Par contre, son lectorat s’étant étendu au fil des ans, elle fait désormais attention à ne pas mettre de liens vers des blogueurs qui ne sont pas conscients de la question des traces sur le web, notamment ceux qui évoquent des difficultés au travail. De même, elle veille à ne jamais évoquer ses enfants sans leur en parler auparavant.
Martine Sonnet, CNRS, Institut d’histoire moderne contemporaine
Les blogs sont une source précieuse pour les historiens. Il s’est produit un grand changement entre le moment où l’historien devait aller en bibliothèque pour faire des recherches et aujourd’hui où il a la possibilité d’accéder à de très nombreuses sources à portée de clic. Entre émerveillement et sidération devant cette situation inédite, il peut accéder très facilement aux documents, ce qui ne va pas sans générer de nouveaux problèmes : cette matière prolifique est souvent éphémère. Il s’est ainsi opéré un passage de la rareté à une profusion fugace. Face à un blog, le travail de l’éditeur n’est plus le même que celui que l’historien pouvait faire à partir des sources papier : avec une source papier, l’édition du texte devait être accompagnée par des notes de bas de page, etc. Le blogueur procède souvent lui-même d’emblée à ce travail par des liens et des notes. Par contre, un travail d’un autre type naît pour l’historien : la profusion de traces laissées par les blogueurs est à rechercher car ces derniers interviennent beaucoup en divers endroits de la toile (traces sur des sites de photos, commentaires, etc.). Le travail de l’historien se modifie profondément. Martine Sonnet a également évoqué sa pratique personnelle de blogueuse avec L’employée aux écritures et elle est revenue sur la complémentarité entre son site et son blog. Elle a aussi mentionné l’importance de twitter comme traces que l’on laisse sur le web.
Arnaud Laporte s’est interrogé pour savoir, finalement, de quel soi on parlait sur le web tant l’identité était fragmentaire et fragmentée.
Une collection d’éphémères
Gildas Illien, BnF
Gildas Illien a présenté ensuite le dépôt légal du web dans ses aspects techniques juridiques et techniques. Je n’ai pas pris de notes, j’avais déjà fait un billet sur la question suite à une conférence. A noter que la BnF n’a pas eu pour l’instant d’opposition au dépôt légal de l’internet mais plutôt des demandes d’explications. Pour ce qui est de la consultation dont beaucoup regrette qu’elle soit limitée aux sites de Tolbiac et Richelieu, Gildas Illien a expliqué qu’il s’agissait d’une question juridique. La BnF a par exemple archivé L’autofictif d’Eric Chevillard. Or quand ce dernier a publié une partie de son blog sur papier, il a retiré les billets du site. Il n’est de fait pas possible de laisser cette archive en libre accès. Toutefois, la BnF espère pouvoir prochainement donner un accès aux archives de l’internet à toutes les bibliothèques dépositaires du dépôt légal imprimeur (globalement les grandes bibliothèques dans les régions).
Carole Daffini, Enssib
Carole Daffini est actuellement à l’enssib et elle a présenté son mémoire de DCB qu’on trouve dans la bibliothèque numérique de l’établissement. Je me suis dispensée de notes parce que j’avais déjà parcouru le mémoire mais la présentation était très intéressante, je tiens à le dire :-)
André Gunthert, EHESS
La BnF a longtemps représenté la première source de travail du chercheur. Internet a transformé le travail des chercheurs : ils ont eu tout à coup à leur disposition le corpus et ont dû de fait apprendre à gérer leurs propres archives. Avant l’avènement de l’internet, quand on avait besoin de se servir du 4e fichier matière, on se faisait guider par un bibliothécaire. On avait besoin de lui. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. André Gunthert considère qu’il y a eu une perte d’autorité de la BnF, notamment avec des positions tranchées comme celles qui ont pu être prises sur Google. En ce qui concerne le dépôt légal du web, la BnF a été réactive mais les chercheurs ont entre temps acquis une autonomie car ils ont quand même commencé à travailler sans elle au départ. Désormais, il n’est pas sûr que les chercheurs auront de nouveau envie de déléguer à un gestionnaire cette autorité de l’archive. De plus, pour l’instant, la BnF n’a pas encore fait la preuve de sa capacité à gérer un univers complexe.
Le blog (André Gunthert a créé la plateforme Culture visuelle sur lequel il a deux blogs, L’atelier des icônes et Totem) est l’outil qui fait exploser des catégories : lundi, on peut parler de recherche, mardi de son séminaire, mercredi de politique.
Autre problème que ne résout pas pour l’heure le mode de collecte du dépôt légal français, le fait que le chercheur ne se contentera pas de ce qui reste dans les frontières de l’Hexagone. De même, il perdure un problème de contenu : la BnF archive du texte, l’INA ce qui est visuel… Le blog représente un outil qui offre la possibilité d’associer les contenus. Est-ce que Culture visuelle sera archivé par l’INA ou la BnF ? On pourrait dire que le dépôt légal tel qu’il est pratiqué actuellement n’est plus de saison.
Une des réponses élaborées par défaut par son laboratoire est de se dire qu’on n’arrivera jamais à archiver tout l’internet (ou le seul qui en est capable n’est pas prêt à en donner les clés) mais que, face à une accélération de l’histoire, l’historien doit aussi accélérer son tempo : aujourd’hui nous produisons du passé à marche accélérée. C’est ce qui légitime le travail de l’historien : il est face à une nécessite de produire une organisation qui soit capable de décrire un paysage éphémère. Il est extrêmement important de produire des démarches qui témoigneront d’un passé dont il ne restera que ça.
Fanny Georges, Paris 1
Fanny Georges travaille sur l’identité numérique et les réseaux sociaux. Elle a évoqué la multiplicité des traces que l’on peut laisser sur Internet et les interactions qui se créent sur les réseaux. Elle a aussi traité des difficultés que peut rencontrer le chercheur face à ce matériau mouvant et parfois verrouillé que sont les réseaux sociaux.
Sociabilités
Clément Oury, BnF
Clément Oury a brossé un tableau des sociabilités que l’on peut retrouver aujourd’hui sur les archives du web. Les archives sont constituées de traces des usages sociaux récupérées par des collectes ciblées. Parfois, la BnF fait des collectes connexes : blogs et forums notamment. En effet, les réseaux sociaux sont constitués de telles manières que les robots ne peuvent pas toujours y pénétrer. Peut-être faudra-t-il inventer des robots qui aspirent les flux sans aller sur les sites (comme des sortes d’agrégateurs).
Louise Merzeau, Paris Ouest Nanterre La Défense
Les réseaux fonctionnent comme un milieu, comme un espace à habiter et ils constituent un milieu difficilement observable de l’extérieur. Il existe une dimension relationnelle du web social qui ne passe pas que dans l’expression mais se révèle aussi dans une dimension opératoire. Or dans l’archive, on n’a plus les boutons de lien, de recommandations, etc. Le paradoxe que comporte l’archive est d’avoir des traces sans feedback, sans la réactivité constitutive du web social.
Les réseaux ne sont pas seulement une question de représentation de soi mais ils sont utilisés plutôt comme des régies : sorte de tour de contrôle. Dans l’archive, on produit ou on renforce un cloisonnement (à l’échelle de l’individu) qui masque la portée réelle et sociale. Or des logiques d’agrégation, de percolation, de concaténation des contenus sont à l’œuvre en permanence. Les réseaux sociaux comportent une logique affinitaire : c’est le principe de « souscription » décrit par Olivier Ertzscheid qui consiste à se placer sous une autorité pour écrire.
Sur Twitter, les ramifications sont identifiables : chaque lien produit dans les tweets produit à son tour un cadre énonciatif. Il faudrait pouvoir archiver en plus du contenu le graphe des souscripteurs, un rendu du rythme, le nuage des tags associés et le faisceau des liens associés. Il va falloir développer des outils de cartographies.
Question de l’unité documentaire la plus pertinente : pour l’instant il s’agit de l’URL, mais le graphe pourrait s’avérer pertinent à l’avenir. De plus, la question doit se poser de la profondeur de l’archive : combien de clics et de pages distantes doit-on archiver ? Enfin, le degré d’implication de l’archive dans les réseaux eux-mêmes revêt une grande importance : l’archive doit elle-même s’immerger dans les réseaux, Heritrix doit devenir l’ami de certains ! [Et moi de me dire à cet instant, damned, et si Lapin de la BnF était un agent double d’Heritrix ?]
Désormais, on note une contamination de l’ensemble du web par les logiques sociales : une information ne vaut que si elle validée par un individu. Il y a de moins en moins de documents stables et objectifs : tout document emporte avec lui une trace de ses usages et de ses usagers. L’usager devient lui-même un document par les traces qu’il crée ou par celles qui sont laissées à sa place par les autres.
Paradigme de la personnalisation : l’information est aujourd’hui de plus en plus sur mesure et on peut dire en forçant le trait que toutes les données sont désormais personnelles car elles peuvent être rattachées à une personne.
Maintenant que la mémoire est publique, il faut se préoccuper de savoir qui va les utiliser. Il faut réfléchir à la patrimonialisation du web de façon à contrer un double risque, tout d’abord le risque d’une expropriation mémorielle et ensuite celui d’une repolarisation du réseau autour de rares puissances. L’expropriation mémorielle consiste dans les traces que nous laissons de nous et qui sont captées au risque d’une privatisation de notre mémoire. Cela l’archivage du web peut le contrer par la défense d’une mémoire publique contre une expropriation commerciale. La repolarisation du web est une tendance à remplacer le maillage réticulaire par une logique binaire (like/don’t like). Tous les parcours sont rapatriés vers un pôle (en l’occurrence facebook) et il existe un risque pour la structure même du web en soit affectée.
Il faut donc penser l’archive, certes comme artefact, mais comme quelque chose qui doit produire une intelligibilité et qui doit défendre la mémoire publique et la structure réticulaire du réseau.
Dominique Cardon, Orange Labs
Pour Dominique Cardon, on est désormais sorti du monde du document et on se trouve dans la conversation, dans l’oral. Quel type d’archive mettre alors en place pour cette conversation ?
Quand on a 500 amis sur facebook, on ne discute vraiment qu’avec 16 pour les femmes et 11 pour les hommes. Les conversations s’autorégulent et on n’intervient pas dans celles des « amis » un peu lointains selon leur teneur. Un statut personnel attirera des commentaires d’amis proches tandis qu’une citation ouvrira une discussion avec des contacts plus éloignés. Il existe continuellement un balancement entre une petite conversation et une plus grande. Ces conversations relèvent de l’ordre l’intime et du privé, mais également du grand public et d’une zone intermédiaire de « conversation privée en public ». Pour Dominique Cardon, ces publications publiques/privées devraient pouvoir s’évaporer, même si cela constitue un réel problème pour le chercheur. Le web n’étant plus documentaire, on est en train de vouloir aspirer la société, ce qui est démesuré.
Louise Merzeau
Les réseaux sociaux sont vivants, c’est effectivement de la conversation, mais ça n’empêche que la traçabilité traite ces éléments vivants comme des documents. C’est cette double dimension dont il faut prendre compte. L’archive publique pourra créer à la fois de l’oubli et un artefact. Seule l’archive publique peut permettre un débat sur le droit à l’oubli.
Dominique Cardon
Suite à une question d’Arnaud Laporte, il explique défendre le j’aime/j’aime pas de facebook qu’il voit comme une démocratisation du net vers des couches moins éduquées. Cela peut choquer ceux qui ont un « côté geek à l’ancienne » et qui sont attachés au lien. Il relativise aussi sur les discours très nombreux sur le profiling sur facebook : depuis deux ans qu’il est sur le réseau, il a encore comme publicité « jeunes u-m-pé » [l’orthographe bizarre est là pour éviter les moteurs…].

Si je dis écriture, certains vont pouvoir dire que c’est un peu facile, mais en même temps, pas tant que ça. Pour moi, l’un est vraiment lié à l’autre. Il n’y a pas de lecture sans écriture, le web le fait encore plus resurgir, mais je pense que ça toujours été ça. Il n’y a pas de lecture sans appropriation et l’appropriation passe souvent par l’écriture. Il n’y a pas de lecture sans compréhension, sans qu’on fasse quelque chose des mots de l’autre, la manière dont on les pense, la manière dont on se les approprie. La lecture déclenche l’écriture, que ce soit de choses juste pour comprendre ce qu’on a lu, que ce soit pour aller plus loin, faire soi-même de la littérature, mais pour moi il n’y a pas de lecture sans écriture, les deux vont vraiment ensemble.

Hubert Guillaud, dans un entretien sur Mélico
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