Expositions de bibliothèques, bibliothèques d’exposition

Où l’auteure de ce blog pond un billet sérieux, sur un sujet qui l’est moins. Ennemis du subjonctif, s’abstenir 😉

Depuis que je vis à Paris, j’ai rejoint le nombre de ces gens qui hantent les lieux culturels ouverts le dimanche… Parmi eux, la BnF qui nous gratifie en ce moment d’expositions pour le moins hétéroclites. Les héros s’affichent à Tolbiac, d’Achille à Superman, en passant par Jean Moulin. Le mythe de Roland (Roland est preux et Olivier est sage…) donne l’occasion d’admirer de prodigieux manuscrits sur lesquels le regard s’égarerait volontiers des heures, car on n’en finit pas d’y déceler des détails insolites, là un petit diable, ici une annotation. Est-ce lui le scribe dont ma prof d’ancien-français clamait qu’il faisait des fautes ? J’ai trop oublié ses cours pour le dire. En revanche, même en étant adepte du mélange des genres, il est malaisé de trouver son compte dans la suite de l’exposition. Le sabre télescopique de Star wars et le T-shirt imprimé à l’effigie du Che (« Coton, impression sur fond rouge » – sic !) m’ont laissé de marbre. Il me semble aussi que la dimension histoire/légende/mythe eût gagnée à être soulignée.

C’est peu ou prou la même impression pour la très renommée exposition sur l’Enfer. L’aspect didactique, bien que présent, y semble relégué au rôle de faire-valoir de l’iconographie érotique. Dommage de ne pas avoir expliqué l’acception actuelle du terme « réserve ». Quelle bibliothèque, en effet, n’a pas de nos jours sa réserve ? Ouvrages précieux et fragiles, vous dira-t-on. Certes oui, mais aussi ouvrages que l’on souhaite soustraire à l’œil du public. Dans une des nombreuses bibliothèques municipales où j’ai officié comme stagiaire, le Journal d’une femme adultère figurait au catalogue mais se trouvait conservé dans la réserve. La présence des jeunes lecteurs justifiait, m’a-t-on dit, un tel traitement. Mais revenons à Eros au secret et résumons : la BnF fait son coming-out, venez nombreux ! On constate immédiatement que le pari est réussi. Se presse une foule jeune, masculine que l’on croise peu souvent dans nos établissements. Parlez X, ils viendront. Incontestablement. Mais reviendront-ils ? En effet, l’espace dévolu à l’historique de l’Enfer se trouve fort curieusement délaissé au profit des vitrines libertines, celle consacrée à Sade rencontrant un succès colossal. Un autre regret de ma part est de ne pas avoir trouvé de témoignages du fonctionnement de la réserve. Je suis certaine qu’une affiche des mots-clé des notices des ouvrages à l’index serait absolument hilarante ! De même, parmi les lecteurs habitués de la réserve figuraient des personnages qui auraient gagné à être connus. Je vous renvoie pour cela à la lecture de L’Amour des bibliothèques de Jean-Marie Goulemot (notamment les délicieusement croustillantes pages 130 et suivantes).

Pour autant, suis-je encore objective en voyant une exposition de bibliothèque ? Ces lignes sont critiques et je crains qu’elles ne le soient à cause de mon regard qui s’est départi de sa naïveté. Même ressenti que durant mes études où je lisais en notant machinalement hypallages et prosopopées, en regrettant que le plaisir du texte s’en trouvât amoindri.

Mais les œuvres ? Difficile de les décrire sans devoir cocher la case « le contenu de ce blog est réservé aux adultes » dans Blogger… Disons qu’il s’en trouve de tous les continents et de toutes les époques, que la proportion texte/image m’a paru vraiment bien adaptée et qu’elles valent bien un détour par le 13e. A propos de textes, j’eusse aimé trouver des extraits du Livret des folastries de Ronsard, un recueil érotique fort sympathique. Mais il faut sans doute faire perdurer le mythe du poète vendômois qui aimait les fleurs. Foutaises ! Il était animé par « le grand levier qui remue le monde » (la formule est de Balzac) !

Et pour répondre à la seconde partie de mon titre, j’ai effectué une visite rapide à la Martha Rosler Library qui s’expose à l’INHA. Cette artiste américaine fait voyager de par le monde sa considérable bibliothèque depuis quelques années. Ce qui constitue l’œuvre ici, c’est la façon dont les livres ont été réunis, un seul volume ne représentant rien mais l’ensemble générant une création. C’est finalement le corpus constitué par les choix de lecture de l’artiste qui fait sens. Les détracteurs n’y verront qu’une démarche égocentrique, les chercheurs un objet d’étude et d’aucuns un autoportrait. Personnellement, cette visite a achevé de me convaincre de la proximité de la bibliothèque avec la démarche architecturale : le choix des matériaux (les acquisitions) s’effectue dans la perspective de leur agencement. Construire quelque chose et élaborer une politique documentaire sont proches, finalement : chaque pierre est constitutive de l’édifice. Elle ne peut être pensée pour elle-même car elle est indissociable des autres éléments qui composent le bâtiment.

Pour en finir avec l’Enfer, une vidéo de la station fantôme (sur la ligne 10, vers Mabillon), redécorée pour l’occasion. Et je ne peux pas résister à ce mot, attribué à Valéry : « La tolérance, Monsieur ? Il y a des maisons pour ça ! »