Un aller-retour pour l’archipel de l’information


Publié dans Bibliothèque(s), n° 40, 2008
Qui n’a pas rêvé un jour de retrouver un livre perdu ? C’est le défi que se sont lancés des étudiants de l’ETH1, le Swiss Federal Institute of Technology de Zurich en créant la Smart RF Library. Cette bibliothèque d’un nouveau genre permet de visualiser dans un environnement virtuel les ouvrages d’une bibliothèque physique. Pour ce faire, les étudiants ont eu recours à la technologie RFID et à une modélisation en trois dimensions, via l’univers de Second Life. Le projet a également permis d’automatiser certaines tâches et de créer des alertes.
Second Life est un monde virtuel en trois dimensions, entièrement créé par ses utilisateurs. On ne peut pas considérer Second Life comme un jeu dans la mesure où il n’y a pas de compétition et qu’on ne gagne rien. Par contre, il est possible en tant qu’utilisateur de ce monde d’y acheter des terres pour construire des bâtiments et d’y exercer des activités. Une économie s’y est même développée et l’on utilise des Linden dollars comme monnaie. Les Linden dollars peuvent être convertis en dollars réels pour pouvoir acquérir de l’espace sur les serveurs de Second Life afin de réaliser des projets ou encore d’acquérir du contenu créé par d’autres utilisateurs. Ce qui constitue l’intérêt de cet univers est qu’il offre la possibilité de créer des liens avec le monde réel. Certaines entreprises s’en sont servies, par exemple, pour présenter leurs produits ou pour recruter du personnel.
L’ETH de Zurich possédait déjà une île dans ce monde virtuel et, dans le cadre du projet Smart RF Library, l’occasion était trop belle de l’utiliser pour résoudre les problèmes liés à leur bibliothèque. Sur Second Life, les bibliothèques ne manquent pas. Elles sont regroupées sur un « InfoArchipel », qui ne compte pas moins de 17 îles, dont 10 sont des bibliothèques2. Les efforts de l’équipe de recherche ont surtout porté sur le fait de connecter la bibliothèque réelle de leur institut avec le monde de Second Life.
L’équipe a essentiellement travaillé sur les frustrations que connaissent tous les usagers et le personnel des bibliothèques, à savoir les vols, les emprunts abusifs et les problèmes de rangement des livres. Leur travail illustre bien l’évolution que connaît l’informatique, qui englobe de plus en plus fréquemment les technologies sans fil. Aujourd’hui l’usager doit pouvoir accéder à des systèmes d’information disponibles de n’importe où, n’importe quand.
L’équipement de la bibliothèque physique
L’équipe du professeur Tatbul s’est donc servie de Second Life pour visualiser les informations transmises par les étiquettes RFID. Les livres et les cartes des usagers ont été munis de puces RFID. Le bâtiment a été équipé de trois lecteurs de puces. Après plusieurs essais, l’équipe de recherche est parvenue à saisir tous les mouvements de documents dans l’enceinte de la bibliothèque : un lecteur est placé à la sortie de façon à détecter les vols, le deuxième se situe sur un automate de prêt pour enregistrer les sorties. Le dernier est installé sur les rayons et contrôle les retours. Dès qu’un livre est remis en place, le retour est automatiquement enregistré. La technologie RFID est similaire à celle des codes-barres, les balises de l’une et de l’autre contiennent des informations qui peuvent être détectées par un lecteur. Cependant, la technologie RFID présentait de nombreux avantages dans le cadre de ce projet : les puces RFID, contrairement aux codes-barres, peuvent être lues à travers de nombreux matériaux, qui sont perméables à la fréquence radio, et elles peuvent être détectées à distance.
La visualisation en trois dimensions
La bibliothèque créée sur Second Life reproduit une bibliothèque type : on y trouve un bureau de renseignements, des rayonnages de livres et des portiques antivol. L’automate de prêt n’y figure pas puisque c’est le déplacement des ouvrages qui génère les prêts et les retours. Dans cette bibliothèque virtuelle, le personnel possède des avatars3 pour renseigner les usagers. Pour mettre au point son système, le groupe de recherche a observé le mode de circulation des documents de manière à en lister les particularités. La bibliothèque possédait des ouvrages de référence, consultables uniquement sur place. Par ailleurs, les usagers avaient tendance à emprunter plus de documents qu’ils n’y étaient autorisés sur un sujet donné. Enfin, des vols avaient parfois lieu. Ces pratiques courantes dans toute bibliothèque ont été transposées par les chercheurs dans la modélisation qu’ils ont créée sur Second Life. Ils ont cependant modifié le circuit des documents en ce qui concerne l’emprunt des documents. Dans la bibliothèque virtuelle, les documents en prêt viennent se ranger sur un mur de livres empruntés, de façon à être instantanément repérables, tandis que les livres présents et en consultation dans les bibliothèques sont disposés sur des rayonnages. Un système de visualisation et d’alertes sonores a été mis en place : il existe deux types d’alarmes, une première pour les vols, la seconde pour les emprunts inappropriés (trop de documents, sortie d’ouvrages de référence). Si deux infractions sont commises en même temps, l’alarme signalant les vols sera prioritaire sur la seconde. Ces alarmes sont représentées par le clignotement des portiques et du livre concerné qui réintègre son rayon en scintillant lui aussi. Par ailleurs, un code couleur a été adopté selon l’infraction commise. Cette modélisation présente l’avantage de donner une représentation réaliste de la collection de la bibliothèque. Malheureusement, il est difficile sur une interface comme Second Life d’obtenir une vue d’ensemble de la bibliothèque. En effet, sur Second Life, l’on ne voit qu’à travers le « regard » de l’avatar, ce qui limite parfois le champ de vision. En outre, l’équipe de recherche reconnaît que, si le projet devait être développé à grande échelle, le mur de livres empruntés deviendrait rapidement illisible. Enfin, la détection des livres mal rangés a dû finalement être abandonnée, faute de temps, mais le projet initial prévoyait un repérage des livres sur chaque travée4.
La connexion entre espaces physique et virtuel
Pour que les données issues du monde réel interagissent avec l’univers virtuel, les étudiants ont créé pour chaque objet des scripts dans le langage de programmation de Second Life. Ainsi, les serveurs de Second Life détectent les changements de position des objets à l’intérieur de la bibliothèque.
Le traitement des données est conçu selon une architecture à trois niveaux. Le premier niveau, le plus important, est celui de la récupération des données brutes, il constitue le socle du système. Les étiquettes RFID transmettent les informations relatives aux livres et aux usagers (via leurs cartes d’emprunteurs). Elles sont récupérées par les lecteurs, puis sont nettoyées et compressées. Leur transmission s’effectue de deux façons : soit elles sont transmises à une fréquence régulière, soit elles sont communiquées dès lors qu’une information nouvelle apparaît, un retour par exemple. Le croisement de ces deux types d’informations permet un traitement plus fiable des données.
Le deuxième niveau est celui de l’analyse des informations recueillies, qui consiste notamment à croiser les données relatives au document et à l’usager. De fait, les événements importants, comme les vols, sont détectés instantanément et déclenchent une réaction appropriée.
Le troisième et dernier niveau, celui de la visualisation, permet à l’usager de voir les événements en temps réel, sur Second Life et sur une interface web.
Toutefois, aussi sophistiqué que soit l’univers de Second Life, il ne permettait pas de saisir toutes les informations essentielles au circuit des documents. Par conséquent, les étudiants ont dû concevoir une interface supplémentaire, sur le web, pour compléter la visualisation. Celle-ci était nécessaire pour afficher toutes les informations textuelles et a été conçue pour répondre aux besoins de gestion quotidiens du personnel. Elle fournit les applications relatives aux utilisateurs, aux documents, aux modalités de prêt et de réservation. De plus, elle permet de savoir quels documents et quels utilisateurs sont présents dans le système. Les utilisateurs, eux, peuvent se renseigner sur la disponibilité des livres, en temps réel et vérifier sur leur compte la date de retour des documents qu’ils ont empruntés. L’interface offre également un module de recherche classique (par titre, auteur, ISBN et tag RFID).
Cette expérience montre ce que peut offrir la technologie RFID en matière de contrôle des mouvements des documents. En l’état actuel, elle n’exploite pas vraiment l’univers virtuel associé et ne présente donc pas d’avancée notable pour les établissements. Toutefois, elle laisse entrevoir d’intéressantes possibilités et on peut espérer qu’elle sera améliorée, notamment en ce qui concerne la recherche des livres mal rangés ou le guidage des usagers dans les rayons.
1Eldgenössische Technische Hochschule Zürich
2De nombreux renseignements sur les bibliothèques de Second Life sont disponibles sur le blog Vagabondages de Thomas Chaimbault, catégorie « Second Life » : http://www.vagabondages.org/category/Second-Life
Un support de formation « Les bibliothèques et Second Life » a été produit récemment par Nicolas Alarcon : http://www.slideshare.net/alarcon/les-bibliothques-et-second-life
Le blog En direct de Second Life rend compte des activités de la bibliothèque francophone dans ce monde virtuel : http://sldirect.blogspot.com
3Les avatars sont des personnages représentant les utilisateurs.