Le catalogage est mort ! Vive le catalogage !

Je suis surprise d’entendre de plus en plus souvent de la bouche de professionnels des bibliothèques qu’aujourd’hui, on ne catalogue guère plus. Entendons-nous bien avant de commencer ce billet, je suis loin d’être une fanatique de catalogage. J’en fais parce qu’il le faut mais beaucoup d’autres tâches ont ma préférence. Cependant, je fais du catalogage presque tous les jours et, à le faire, j’essaie de le faire de mon mieux. De fait, lorsque j’entends dire qu’on ne catalogue plus parce qu’on récupère tout de la BnF ou d’ailleurs, je ne reconnais pas là mon quotidien professionnel.
Je parlerai ci-après des BU. Cependant, j’ai ouï dire dans le cas des BM que quelque collectivité se servait de la “mort” du catalogage pour justifier des moyens descendants…
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Revenons à mon cas de catalogueur de BU. Globalement, j’ai calculé qu’il me passait entre les mains environ 500 livres par an, toutes exemplarisations, dérivations et créations confondues. J’acquiers dans une discipline qui m’amène à commander beaucoup à l’étranger. Pas l’étranger étrange de pays qu’on ne sait pas situer sur les cartes mais à de grandes presses anglo-saxonnes. Je vous entends déjà, là, vous écrier : “mais tu dérives tes notices !” Oui, je dérive, entre autres.
Reprenons, si vous le voulez, par ordre de difficulté.
Cas n°1 : l’ouvrage arrive, il est déjà dans le SUDOC, il suffit d’exemplariser.
C’est effectivement assez rapide et c’est le cas qui est cité en exemple pour clamer qu’on ne catalogue plus. Cela dit, quand on exemplarise, il arrive souvent qu’on tombe sur un imbroglio d’ISBN 10 et 13 qui concernent a priori le même bouquin mais qui, lorsqu’on se penche sur son cas, présentent des différences de quelques pages, de taille, etc. Les éditeurs anglo-saxons sont spécialistes des rééditions avec quelques modifications pour les justifier, ce qui est un casse-tête pour le catalogueur (ce fut l’objet d’un long débat sur SUCAT, “Nouvel ISBN, nouvelle notice ?”). On y verra peut-être plus clair une fois la mise en place de l’ISTC. Un exemple, j’ai eu entre les mains un ouvrage broché, je le cherche dans SUDOC et je trouve la version reliée. Même pagination, même taille, même date (2005). A priori je peux ajouter mon ouvrage broché sur la notice en mentionnant son ISBN. Seulement en tournant et retournant l’ouvrage de tous les côtés, je trouve un copyright pour une photo de la 4e de couverture qui, arrrgh, date de 2010. Tempête sous un crâne, est-ce que je refais ou pas une nouvelle notice ? Dans un cas comme ça, si j’estime ne pas avoir assez d’éléments pour trancher, je pose la question au correspondant catalogage pour avoir son avis. Ça peut paraître excessivement pointilleux, on ne va pas s’embêter pour une photo de 4e de couverture, mais c’est comme ça que, si l’on n’y prend pas garde, on crée des doublons.
Dans le cas des exemplarisations, il arrive aussi qu’on doive ajouter quelques éléments pour l’indexation, ce qui demande un minimum de réflexion et de consultation du livre. Il peut aussi y avoir des modifications à faire sur la notice si elle a été dérivée à la va-vite.
Cas n°2 : l’ouvrage arrive, il n’est pas dans le SUDOC mais il se trouve sur d’autres bases, il faut dériver.
Dans mon cas, je dérive souvent des notices anglo-saxonnes de la LOC ou de Worldcat, que je dois traduire. Ce n’est pas très long mais ça ne se fait pas automatiquement. Il faut aussi refaire l’indexation en RAMEAU parce qu’elles est souvent en LC, donc en anglais, et sans liens. La question des liens est extrêmement importante car ce sont eux qui permettront aux usagers, ou aux bibliothécaires quand ceux-ci viennent chercher de l’aide, de rebondir de mot-clé en mot-clé. Cette étape va relativement vite aussi pour peu qu’on ait un peu l’habitude.
Là où les choses se compliquent, c’est lorsqu’on aborde les autorités auteurs (cette terminologie barbare, je ne m’y ferai jamais !). Votre notice est complète, il ne vous manque qu’une chose, faire un lien vers la notice de l’auteur et celle du préfacier/traducteur/éditeur s’il y a lieu. S’ils sont dans le SUDOC, c’est déjà bien. Il va falloir vérifier, ce qui prend parfois du temps, qu’il ne s’agit pas d’homonymes : vous êtes contents quand vous tombez sur un Joseph Black, qu’il y en a 4 dans le SUDOC, dont 2 nés à la même date… Une fois qu’on est absolument certain que la notice est bien celle de son auteur, ce qui conduit souvent à ajouter quelques éléments dans ladite notices après les recherches qu’on a dû entreprendre pour vérifier que c’était lui, il faut achever le travail en faisant les fameux liens. Même chose que pour l’indexation, si vous ne faites pas de liens, il ne sera pas possible de cliquer sur le nom de votre auteur pour découvrir les autres oeuvres qu’il a commises.
Maintenant, si votre auteur/préfacier/traducteur/éditeur ne se trouve pas dans le SUDOC, c’est une autre paire de manches ! Il va falloir créer sa notice autorité, celle qui vous permettra ensuite de lier son nom dans la notice de votre livre. Vous suivez ? Cette étape-là est souvent longue. Il faut rechercher l’auteur qui a très souvent des homonymes, au grand dam du catalogueur. On trouve des autorités sur la LOC et la BnF mais il n’y a pas tout et il arrive bien souvent qu’il faille errer de catalogues d’éditeurs en sites d’universités pour glaner un minimum d’informations sur le bougre ou la bougresse. Cette étape-là prend réellement du temps mais elle est primordiale, j’y reviendrai.
Cas n°3 : votre bouquin n’existe nulle part, il faut le créer.
Effectivement, ce n’est pas un cas très fréquent mais quand il se produit, il faut prévoir un long moment devant soi. Outre les infos classiques et faciles, il faudra indexer, créer les autorités, etc.
Enfin, quelque chose qui n’est pas du catalogage mais qui intervient au même moment, la cotation.
La BnF indique certes un indice Dewey, parfaitement construit et intellectuellement satisfaisant. Seulement il est très rare qu’il corresponde au plan de classement local : inutile de mettre un bel indice à 9 chiffres si l’on peut se contenter d’une cote plus générale, plus lisible pour l’usager. Là encore, ce n’est pas du simple copier/coller d’une récupération quelconque.
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Pour terminer, je dirai que quand il vous passe 500 livres par an entre les mains, pour lesquels vous devez obligatoirement passer par ces étapes, le catalogage occupe une belle partie de votre temps, cela même si vous essayez de le faire plus vite que votre ombre. Et entendre qu’il est mort, comment dirais-je, ça vous hérisse les épingles du chignon !
Ainsi, même si l’on a considérablement simplifié les procédures, il reste quand même des étapes incontournables. Celle qui concerne les autorités auteurs en est une, sinon le risque est grand de se retrouver avec des doublons d’auteurs (notamment dans le cas des noms de jeune fille et d’épouses) ou des notices d’ouvrage liées à la notice autorité d’un homonyme.
On pourra me rétorquer que ce que j’évoque ne sert à rien puisque 95% des usagers n’utilisent pas la recherche avancée. Il y a fort à parier cependant que les 5% qui l’utilisent soient, ou les enseignants-chercheurs, ou les bibliothécaires. Les premiers sont ceux qui sont chargés d’enseigner aux étudiants qui utilisent la recherche simple, les seconds sont ceux qui aident les étudiants quand ils n’ont précisément pas trouvé par le biais de la recherche simple. Finalement, ces outils ne servent peut-être pas souvent mais ils servent, je crois, beaucoup.
Pour prolonger ma râlerie, je ne saurai que trop vous conseiller la lecture du billet de Vingt-sept point sept, qui revient sur l’importance des autorités auteurs pour l’identité numérique des chercheurs.