La bibliothèque rend-elle pirate ?

Pirate Flag
Pirate flag, par Scott Vandehey. CC : BY-NC-SA. Flickr
En lisant l’excellent Deakialli documental, j’ai découvert un article de Catuxa Seoane García, « Soy pirata porque la biblioteca me ha hecho así« , qui m’a semblé pouvoir s’appliquer parfaitement au contexte français.
Catuxa explique avoir dû partir une semaine coupée de toute connexion, sans pouvoir trop remplir sa valise. Elle a bien sûr emporté son ipad chargé de lectures et, en bonne bibliothécaire, elle s’est rendue à la bibliothèque pour pouvoir télécharger des ebooks sur sa liseuse. Voici les problèmes qu’elle souligne suite à cette expérience (c’est moi qui traduis).
« Problème : l’offre de contenus électroniques dans les bibliothèques de notre pays reste encore anecdotique, symbolique et tape-à-l’oeil […]. Pour autant que tu t’approches avec ta liseuse de la bibliothèque la plus proche (à supposer qu’elle compte dans ses fonds des livres électroniques) et que tu te contentes de charger sur ton reader le matériel qu’ils ont (celui qu’ils ont, pas celui que tu cherches), il te reste seulement deux possibilités :
– faire tes fonds de poches pour acheter à tes frais le livre électronique que tu cherches (avec de gros problèmes pour le prêter comme bon te semble après l’avoir lu, comme tu le ferais avec n’importe quel ami intéressé par la lecture de ce livre dont tout le monde parle),
– faire une simple recherche par titre/titres dans google et en moins de 5 minutes avoir à portée de main tous les livres que tu étais en train de chercher, en texte intégral.
En résumé : être pirate dans le domaine culturel en Espagne est beaucoup plus facile et rapide que de se maintenir dans la légalité… Pour ne pas parler des nombreux usagers que les bibliothèques sont en train de perdre parce qu’elles ne peuvent pas (et non parce qu’elles ne savent pas) satisfaire leurs demandes… »
Et Catuxa de citer le cas des ouvrages réclamés à corps et à cris par les usagers, que la bibliothèque ne possède pas ou qui sont toujours empruntés, comme le fameux Fifty shades of Grey en ce moment …

« La réalité est que 99% des lectrices repartent chez elles sans le livre, toujours en prêt dans les bibliothèques. Un fort pourcentage décide de le chercher en ligne et après son téléchargement facile et rapide et découvre un monde nouveau… Beaucoup vont penser “je ne vais plus à la bibliothèque, maintenant que j’ai une liseuse c’est plus facile et rapide de télécharger les livres en ligne…” « 

Elle soulève enfin ces deux incongruités : d’une part l’usager doit se déplacer même pour emprunter un livre électronique, d’autre part ledit livre, pourtant dématérialisé, peut être déjà emprunté. J’ajouterai, concernant ce dernier point, que cette question de l’indisponibilité du livre électronique est incompréhensible au non-bibliothécaire.
Catuxa conclut que les usagers ne reviendront pas, à moins que les bibliothèques offrent une valeur ajoutée. Sans quoi les établissements de lecture publique auront peut-être leur part de responsabilité dans l’augmentation des téléchargements illégaux de livres électroniques…

« Aux bibliothèques, écrit-elle, de fidéliser et d’attirer de nouveaux usagers avec de nouveaux besoins… La difficulté est maintenant de nous mettre à travailler à cela. » Pour ma part, j’espère seulement qu’il n’est pas déjà trop tard…


NB : c’est parce que Catuxa Seoane García avait mis son texte sous Creative commons que j’ai pu en traduire la majeure partie. Chers collègues, n’oubliez pas les CC dès que vous publiez !
Merci à MJS pour sa relecture des passages traduits 🙂

6 Commentaires

  1. Intéressante réflexion fondée sur les usages ! Mais je m’exprimerais pas tout à fait comme cette collègue hispanophone quand elle dit : « Aux bibliothèques de fidéliser et d’attirer de nouveaux usagers avec de nouveaux besoins… »
    Car c’est raisonner en tant que boutique qui aurait à conquérir des parts de marché, contre éventuellement d’autres boutiques. Même si les usagers mettent en concurrence les différentes sources d’approvisionnement, ce qui est normal et que nous faisons tous, les bibliothèques n’ont à mon avis pas à se situer en concurrence avec le secteur commercial et les échanges non marchands, mais en tant que services publics. Bien des sources sont devenues plus commodes que ce que proposent les bibliothèques, si c’est bon pour els usagers, tant mieux. Ce qui est à travailler c’est la place du service public dans ce paysage.

  2. Un service public ne devrait pas faire concurrence au secteur commercial, nous sommes d’accord. Toutefois, ne doit-il pas s’interroger en urgence pour que le paysage éditorial numérique soit accessible à tous, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui ?

  3. Je ne parlais pas seulement de concurrence avec le secteur commercial mais aussi avec les usages autonomes et tout le secteur non commercial : tout ce qui est bon pour le public est bon même si ça ne passe pas (plus) par la bibliothèque. Sinon d’accord avec le défi. En acceptant en même temps « une baisse tendentielle du rôle de fourniture documentaire » parce que bien des accès se passent ailleurs, ce qui est expliqué dans le billet que tu as bien eu raison de traduire partiellement. C’est un défi aussi, une mutatiion professionnelle.

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