Citations

A la génération précédente, un professeur de sciences à la Sorbonne transmettait presque 70% de ce qu’il avait appris sur les mêmes bancs vingt ou trente ans plus tôt. Elèves et enseignants vivaient dans le même monde. Aujourd’hui, 80% de ce qu’a appris ce professeur est obsolète. Et même pour les 20% qui restent, le professeur n’est plus indispensable, car on peut tout savoir sans sortir de chez soi ! Pour ma part, je trouve cela miraculeux. Quand j’ai un vers latin dans la tête, je tape quelques mots et tout arrive : le poème, l’Enéide, le livre IV… Imaginez le temps qu’il faudrait pour retrouver tout cela dans les livres ! Je ne mets plus les pieds en bibliothèque. L’université vit une crise terrible, car le savoir, accessible partout et immédiatement, n’a plus le même statut. Et donc les relations entre élèves et enseignants ont changé. Mais personnellement, cela ne m’inquiète pas. Car j’ai compris avec le temps, en quarante ans d’enseignement, qu’on ne transmet pas quelque chose, mais soi. C’est le seul conseil que je suis en mesure de donner à mes successeurs et même aux parents : soyez vous-mêmes ! Mais ce n’est pas facile d’être soi-même.

Michel Serres, “Petite Poucette, la génération mutante”, entretien avec Libération

On a construit la Grande Bibliothèque au moment où l’on inventait Internet ! Ces grandes tours sur la Seine me font penser à l’observatoire qu’avaient fait construire les maharajahs à côté de Delhi, alors que Galilée, exactement à la même époque, mettait au point la lunette astronomique. Aujourd’hui, il n’y a que des singes dans l’observatoire indien. Un jour, il n’y aura plus que des singes à la Grande Bibliothèque.

Michel Serres, “Petite Poucette, la génération mutante”, entretien avec Libération

John Perry Barlow, l’un des fondateurs en 1990 de l’EFF, l’Electronic Frontier Foundation, le syndicat américain des utilisateurs de l’internet, l’une des rares personnalités présentes à l’e-G8 à défendre des valeurs qui ne se traduisent pas immédiatement par un prix, évoqua une autre justification à l’appareil répressif proposé : la propriété intellectuelle, qu’il caractérisa à juste titre comme une notion distincte de celle du « droit d’auteur » : comme un brevet pris par une société commerciale sur la pensée de quelqu’un qui ne récoltera, lui ou elle, in fine que des miettes des sommes récoltées.

Paul Jorion, chronique dans le supplément Économie du Monde daté du 7 juin 2011, “e-G8 : un monde nouveau, sosie de l’ancien”. Via le blog de l’auteur.

Valence hocha la tête. Maria était comme un animal spécialisé. Depuis trente ans, elle avait consacré l’énergie de ses cinq sens à veiller sur la Bibliothèque. Dans la rue, elle devait être aussi infirme qu’une taupe à l’air libre, mais ici, on voyait mal en effet comment on aurait pu échapper à sa perception.

Fred Vargas, Ceux qui vont mourir te saluent

Richard Valence avait de l’aversion pour les bibliothèques, parce qu’il fallait s’y abstenir de tout, de faire du bruit avec ses chaussures, de faire du bruit avec ses paroles, de fumer, de remuer, de soupirer, bref de faire du bruit avec sa vie. Il y avait des gens qui disaient que ces contraintes du corps favorisent la pensée. Chez lui, elles la détruisaient instantanément.

Fred Vargas, Ceux qui vont mourir te saluent

Le rapport à l’art, comme beaucoup d’autres choses, ne tombe pas du ciel. Il faut le conquérir et cela demande, parfois, quelques efforts. Mais pourquoi ne ferions-nous pas, pour l’art, les efforts que nous sommes prêts à faire pour maîtriser le fonctionnement de notre nouveau téléphone ?

Marcel Bozonnet, entretien avec La Terrasse lors de la quatrième rencontre-culture de Cergy-Pontoise, “Faut-il encore lire La Princesse de Clèves ?”

A l’avenir, l’éducation aura pour but d’apprendre l’art du filtrage. Ce n’est plus nécessaire d’enseigner où est Katmandou, ou qui a été le premier roi de France après Charlemagne, parce qu’on le trouve partout. En revanche, on devrait demander aux étudiants d’examiner quinze sites afin qu’ils déterminent lequel, selon eux, est le plus fiable. Il faudrait leur apprendre la technique de la comparaison.

Umberto Eco, dans un entretien avec Le Monde, le 12 octobre 2010

Je n’accepte pas que la littérature puisse être un amusement, même élaboré et sophistiqué. Si c’est un divertissement, ce doit être un divertissement problématique.

Mario Vargas Llosa, dans Le Monde, en 2008

Le problème de l’enseignement est simple : quand vous commencez, les étudiants ont votre âge, vous êtes leur grand frère. Puis vous devenez leur père, puis leur grand-père. Je le sais, j’en suis à ma trente-huitième rentrée. L’écart se creuse chaque année, où vos interlocuteurs vous renvoient quelque chose de plus jeune.

En 2010, eux c’est l’écran, moi c’est l’écrit. Eux, Microsoft, moi Gutemberg. A Porto Novo, au Bénin, j’ai fait construire une bibliothèque et, en face, un cyber-café. C’est très complémentaire.

Odon Vallet, dans un entretien avec Rue89

Peut-on alors se dire néophyte lorsqu’il s’agit, concernant l’Internet, d’une mutation qui s’accomplit en temps réel, et que nous avons la chance de vivre nous-même dans ce temps de mutation, de transition ? Bien pour cela qu’il est urgent, dans la transmission de la littérature, de réviser la place que nous donnons à l’histoire du livre – les Petits Traités de Pascal Quignard (Folio, tome 1) étant en ce point exemplaires.

La question fondamentale, qui vaut aussi bien pour l’université que pour les lieux institutionnels du livre, c’est comment prendre en charge la médiation de ces usages ? Qui apprend aux bibliothèques à installer un serveur d’accès à distance ? Qui expliquera aux auteurs ce qu’on emboîte dans un PDF et dans un epub, et leur différence ?

François Bon, « Une parfaite leçon de non web » (dans l’apostille faite à H+3), Tiers livre