Accès aux produits culturels numériques en bibliothèques : économie, enjeux et perspectives, débat-conférences organisé par Bibliomédias le 15/05/08

Matinée où il fut question d’économie, même de business (!), de propriété intellectuelle et du rôle social de nos établissements. Notes prises sur le vif, n’hésitez pas à les compléter et les corriger si vous y étiez.

  • Dominique Arot, ABF

L’ABF a pris la mesure de l’importance du numérique : un groupe de travail « Bibliothèques hybrides » réfléchit à ces questions.
Défection de l’Etat. Inquiétudes : il manque une politique nationale. L’ensemble de la communauté des bibliothèques n’est pas forcément au niveau (problème de la formation).
Point fort avec la BnF (Gallica 2, BNUE) qui joue un rôle important.

Bibliomédias : 1er service de prêt numérique en bibliothèque.
Lacune d’information concernant l’économie numérique en bibliothèque.
Bibliomédias : projet qui a démarré en 2006. Plateforme de prêt numérique en bibliothèques : musique, vidéos, livres audios, podcast , information online.

Aspects juridiques liés aux usages.
Sphère du droit de la propriété intellectuelle :
– propriété industrielle (marques…),
– propriété littéraire et artistique (PLA) avec les droits d’auteur qui protègent les œuvres et les droits voisins qui protègent les interprétations.
Droits d’auteurs : 70 ans après la mort de l’auteur, plus s’ils est mort pour la France.
Droits voisins : 50 ans à partir, par exemple, de la date d’enregistrement. Vont peut-être passer à 95 ans.

4 questions à se poser :
– que protège le droit d’auteur ? les œuvres de l’esprit qui peuvent être définies par le fait qu’elles sont originales et qu’elles ont été mises en forme. Le mérite, la qualité de l’œuvre n’intervient pas.
– les droits patrimoniaux correspondent aux droits d’exploitation. Ils sont cessibles par contrat et limités dans le temps.
Les droits moraux : droit au respect du nom (mention du nom de l’auteur et de sa qualité), droit au respect de l’intégrité de l’œuvre (colorisation, etc.). Ils sont incessibles, inaliénables, imprescriptibles, perpétuels.
– les titulaires des droits d’auteur : se pose le problème des œuvres orphelines. Le CSPLA a rendu un avis sur les œuvres orphelines le 10/04/08. Le conseil souhaite donner de l’importance aux sociétés d’auteur qui gèreraient également les droits relatifs à ces œuvres.
– exceptions au droit d’auteur : copie privée, parodie, pastiche.

Exceptions aux droits patrimoniaux : courtes citations (indiquer la source).

Bruno Anatrella avait fait une intervention similaire dont on trouve un compte-rendu ici (page 2).

Contexte législatif mouvant.
Regrette la loi DADVSI : occasion ratée de constituer un cadre clair, mauvaise loi en partie censurée par le conseil constitutionnel. Cadre juridique encore très insécure. La piraterie est toujours considérée comme une contrefaçon (3 ans de prison, 300.000 euros d’amende).
Préservation de la copie privée : accès essentiel au savoir.
Projet de loi très fermé avec un temps de retard : vieille directive européenne. Encore récemment, ratification d’un traité de l’OMPI vieux de 10 ans.
DADVSI : transposition des DRM.
Les bibliothèques sont handicapées par le manque d’exception les concernant. Plusieurs séances de travail ont eu lieu avec l’ABF et quelques exceptions sont passées lors des relectures de la loi.
Le problème des logiciels libres et de l’interopérabilité perdure.
La loi est là pour traduire sur le plan juridique un nouveau modèle économique : pour l’instant, insécurité.
DADVSI 2 : traduction du rapport Olivennes, notamment avec la riposte graduée. Paraît inadaptée.
Mise à contribution des FAI n’était pas une aberration pour financer les droits d’auteur : la télévision finance bien le cinéma. Toutefois, la concentration des labels, etc. rend difficile la mise en place de cette licence.
DADVSI 2 : devrait passer à l’Assemblée pendant l’été. Espère qu’une nouvelle ligne Maginot ne sera pas votée.
Pour les bibliothécaires, il est important de pouvoir exercer de façon sécurisée. Les établissements doivent avoir des moyens suffisants pour ce faire.

  • Yves Alix, BBF

Le BBF suit l’actualité de ces questions.
Recommande la lecture d’« Actualités du droit de l’information » !
Il rappelle que la BM de Martigues a numérisé sa collection de CD pour consultation sur place et avait le souhait de la mettre en ligne, mais avait bien conscience que c’était impossible actuellement.
Le cadre législatif est très rigoureux, s’il est simple, il n’est pas satisfaisant.
Avant la DADVSI, les bibliothèques ne disposaient pas d’exceptions. Aujourd’hui, possibilité de reproduire intégralement des documents pour garantir leur conservation et pour leur consultation sur place. Mais ne donne pas pour autant le droit de communiquer ce qu’on a numérisé. Egalement, exceptions pédagogiques (extraits d’œuvres mais pas de partitions à cause du lobby musical). Pour les publics handicapés, la reproduction intégrale des œuvres est autorisée mais on attend encore les décrets d’application.
Loi sur le droit de prêt : revendication au départ des éditeurs de musique. Mais la loi a été préparée par la DLL donc elle ne concerne que le livre !
DADVSI : loi mal écrite et déséquilibrée.
DADVSI 2 : problème du périmètre de la copie privée. La bibliothèque ne doit pas être considérée comme co-copiste.
Toujours pas de droit de prêt pour les documents sonores mais une tolérance.
Vidéo préfigure ce qui devrait être le paysage demain : négociations contractuelles.

  • Questions / débat

Qu : si licence globale, prix en hausse chez les FAI ?
P. Bloche : concurrence pourrait absorber cela.

M. Fingerhut : coût de la numérisation et durée de vie incertaine du numérique requièrent des financements perpétuels.

Un nouveau modèle économique se met en place : va-t-on communiquer à peu de monde très cher ou à tout le monde pas cher ?

Rapport Bertaud, CNC : mise en place d’un code de bonne conduite en gestation pour les projections publiques en bibliothèques.

  • Dominique Wolton, CNRS

Ne pas réduire la communication à la technique et à l’économie.
Enjeu : éviter que la culture et la connaissance ne soient réduites à l’économie.
Plusieurs points :
– le tout et l’instantanéité ne sont pas synonymes de démocratie.
L’instantané fabrique de la rumeur. Contre la course au direct, l’état-major n’est jamais sur le front. Importance du temps de réflexion.
Dépasser, critiquer l’imperium technique. La technique s’est pliée à un projet politique et culturel ; aujourd’hui, c’est la réalité qui se plie à la technique.
A l’école, les élèves devant l’ordinateur sont en schizophrénie active. Créer des solitudes interactives à cet âge n’est pas bon. Si le marché du cartable interactif se développe, au détriment des enseignants, il y aura une absence de communication : on aura numérisé des gosses !
– redéfinir le concept de culture. La fin des distances physiques révèle l’étendue des distances culturelles.
– envisager le point de vue économique
– se dégager de l’imperium technique : plus les messages vont vite, plus l’incommunication augmente. Il faut faire l’éloge de la lenteur et de la communication humaine.
– il n’est pas possible de redéfinir la communication sans relégitimer des métiers or la bibliothèque répond à un projet d’émancipation des individus.
– redéfinir le rapport privé-public
– distinguer toutes les problématiques des auteurs et celles des intermédiaires
– distinction entre la simplification technique et la complexité des contenus
– le facteur humain est devant nous. Importance des métiers.

Mondomix : media web et papier gratuit + plateforme de distribution numérique sur les musiques du monde.
Appauvrissement de l’économie de la création. Disparition de beaucoup de producteurs/distributeurs indépendants. Vrai problème.
Internet ouvre de nouvelles possibilités de distribution.
Longue traîne : les ventes paient les frais mais ne suffisent pas à rémunérer la création (problème des intermittents du spectacle).
Actuellement, on consomme sans mesurer les conséquences (comme pour le pétrole).
DADVSI : trop répressif. Licence globale ne résout pas pour autant les problèmes de l’économie de la création. S’il y a une taxe, elle devra être obligatoire et ne pas créer de contrepartie (cercle familial élargi mais pas de P2P).
Il faut recréer les conditions d’une unanimité.

La VOD peut constituer un moyen de lutte contre la piraterie, être un relai de croissance.
10 millions de « vidéonautes » en France, 1 million de films téléchargés par jour.
3 millions de pirates.
Chronologie des médias : salle, DVD puis VOD. Les DVD et la VOD vont bientôt pouvoir être mis sur le marché 4 mois après la sortie du film (6 aujourd’hui).
La VOD est un marché partagé entre les FAI, les chaînes et les maisons de production.
Plusieurs sortes : le streaming, la vente, le catch-up (replay), le premium (avant diffusion tv), le gratuit avec pub, le SVOD (abonnement).
De nouveaux acteurs (fnac, carrefour) vont arriver. Les petits acteurs vont disparaître.
La VOD symbolise l’offre légale, son succès dépend d’une lutte plus efficace contre la piraterie.
Rôle des médiathèques : lorsqu’elles proposent de la VOD, le côté éditorial peut faire la différence avec le peer-to-peer. Systèmes d’abonnements avec les établissements : solutions pour que l’internaute puisse consulter chez lui et sur place.

Question : en musique, on peut avoir accès à l’intégralité de certains catalogues (SFR par exemple), c’est une sorte de licence globale privée ?
Réponse : oui mais elle n’est pas encore envisageable pour le film (fichiers trop lourds). On devrait y venir.

Les nouvelles solutions présentées génèreront de nouvelles formes de piraterie.
Importance d’offrir des contenus dématérialisés : site web, catalogue en ligne, services en ligne (Lyon), fourniture de contenus.
La fourniture de contenus se justifie par le rôle social des bibliothèques.
1/6 des inscrits de Troyes utilisent les ressources en ligne.
La VOD fonctionne très bien.
Il y a une vraie nécessité de suivre les évolutions techniques, mais pour partie seulement : il ne faut pas verser dans le tout technologique.
Les contenus dématérialisés ont aussi une dimension patrimoniale : voir la magnifique base en ligne de l’INHA en matière d’histoire de l’art.
Ces nouveaux services répondent à une appétence du public et du personnel. Ils doivent s’accompagner d’un ancrage local : travail avec les artistes locaux, partenariat avec une scène, etc.
La démultiplication des services est indispensable mais le coût des inscriptions empêche l’inscription de nouveaux publics.
Pour l’instant, cela touche surtout des technophiles à la recherche de nouveaux contenus.

Nouvel établissement.
Ont une collection de CD (3000) mais qui n’est pas destinée à augmenter. Les CD ont été numérisés et sont consultables sur place.
Choix de ne pas acquérir trop de collections de références. Par contre, accès aux encyclopédies en ligne, aux sites en ligne. Pour les encyclopédies, le réflexe numérique est là.
Ecoute sur place, musique en ligne, VOD : les demandes débordent. Ces nouveaux services permettent de toucher de nouveaux publics.
Autre innovation : le prêt à la carte, pas de durée limitée. Les prêts ont augmenté depuis.
Coûteux en formation de personnel et en formation des usagers.

12 Commentaires

  1. * ça parlait pas que de bizness, y’avait Dominique Wolton ! 😀

    * Comme je me demandais comment la BM de Viroflay gérait ses prêts illimités, j’ai regardé sur leur site : en fait, en plus du prêt traditionnel de 3 semaines, il y a la possibilité d’ « emprunter pour une durée libre et inférieure à 6 mois 9 livres édités depuis plus de 5 ans ».

    http://tinyurl.com/5bo4m6

  2. C’est exactement la question que je me posais. Merci pour cette précision.
    Moi aussi je n’y étais pas, ces notes sont les bienvenues !
    🙂

  3. @ b&c : merci pr les précisions 🙂 C’est vrai que Wolton a redressé la tendance. C’est le monsieur de tf1 qui a dit « pour vos business », déclenchant un fou-rire dans la salle…

    @ anonyme & mediamus : avec plaisir 🙂

  4. Merci pour lle compte rendu! Pas de grandes nouveautés sous le soleil (mais c’est normal en attendant Dadvsi 2). Je retiens que Patrick Bloche est un homme très important pour les bibliothèques, car c’est l’un des rares hommes politiques à vraiment comprendre à un niveau national les enjeux des bibliothèques et du numérique. Sinon pour du prêt illimité la bibliothèque d’Haguenau le pratique réellement : j’en avais parlé ici : http://www.bibliobsession.net/2007/10/12/un-pass-illimite-pour-emprunter-en-bibliotheque/

  5. Il me semble que les 2 formules illimitées sont différentes :

    durée illimitée pour 9 documents à Viroflay (gratuit)

    nombre illimité de documents pour 4 semaines à Haguenau (payant)

  6. merci pour ce travail.
    Vous ne trouvez pas bizarre qu’une société privée comme Bibliomédias se pose comme seul interlocuteur numérique dans ce genre de manifestation?
    Thierry Chompre

  7. @ Bibliobsession et B&C : merci pour vos précisions. Au fait, Patrick Bloche connaît aussi l’ABF 😉

    @ Thierry Chompre : dans la mesure où ils sont organisateurs, ça n’est pas très surprenant. J’ai hésité à y aller pour cette raison en craignant l’auto-promotion mais la majorité des intervenants valait la peine d’être entedus. Je me suis bornée ici à faire un compte-rendu sans prendre parti, rien de plus.

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