Bestiaire

Les récents propos du PDG d’une grosse maison d’édition – à savoir qu’il a « trop de petits éditeurs » et qu’ils « encombrent les rayons des librairies » – ont ému le petit monde du livre. Antoine Gallimard, à qui des organes de presse peu scrupuleux, avaient également attribué ces propos s’en est défendu dans le Monde des livres du 31 mars. Il a rappelé que la petite édition a toujours été stimulante pour les grandes maisons et qu’il n’avait cessé d’entretenir avec elles de bons rapports. Pointant le problème essentiel des petites maisons, la diffusion et la distribution, Antoine Gallimard rappelle l’importance de la petite édition pour la vitalité du secteur et défend sa place en librairie. Quelques jours plus tard, le 5 avril, Alberto Manguel a envoyé au Monde une courte lettre où il était question de mésanges et de dodos – voilà mon titre justifié ! –. L’auteur d’Une histoire de la lecture invoquait une légende mauritienne pour commenter les propos contestés.
Les dodos, ces gros oiseaux incapables de voler, aperçurent un jour une île où poussaient d’énormes potirons. Alléchés, ils construisirent un radeau pour s’y rendre et festoyèrent jusqu’à ce qu’il ne restât rien. Sur cette île, vivaient de petites mésanges ; prévoyantes, elles récupérèrent les graines de potiron pour les planter et pour nourrir leurs petits. Une fois repus, les dodos repartirent en radeau mais celui-ci menaça de couler tant ils avaient mangé. Soudain, un dodo aperçut une mésange perchée sur le mât et l’accusa instamment d’être responsable de leur péril. Les dodos se mirent à sauter sur le radeau pour chasser l’intruse qui s’envola en direction de l’île. Ainsi secoué, le radeau coula à pic et les dodos avec.
Conclusion toute personnelle : si les petits éditeurs occupent beaucoup de place sur les rayons des librairies, n’est-ce pas parce que leurs ouvrages s’y vendent bien ? En effet, on a du mal à imaginer que les libraires soient naïfs au point d’encombrer leur rayon de livres invendables. Alors, si certains grands éditeurs craignent la concurrence des petites maisons, n’est-ce pas parce que leurs propres livres ne sont pas à la hauteur ? Mais sans doute n’ai-je, encore une fois, rien compris en termes d’analyse de marketing…