Bibliothéconomie & Cie. - Dir. publ. et réd. en chef Cécile Arènes. - Paris : [s. n.], 2006 - ... .

Auteur/autrice : Cécile Arènes (Page 6 of 42)

En BUtinant #12/11

Si vous n’en lisez qu’un,
– ce serait sans doute ce billet de Silvère sur les biens communs de la connaissance et leurs usages marchands. Cette lecture vous a enthousiasmé ? Filez voir par !
Parce que le livre n’est rien d’autre que le support du texte
– François Bon a mis en ligne le très beau texte qu’il a lu à la BnF et qui résume parfaitement les mutations numériques du livre,
– Marc Jahjah propose une découverte de publie.net,
– Christian Jacob s’est intéressé à ce que pourrait devenir l’édition en SHS,
– si cette mutation des supports du texte vous paraît inquiétante, rassurez-vous et lisez Xavier de la Porte : elle est simplement de celles qui provoquent des paniques morales !
Et pendant ce temps-là, au joyeux pays des bibliographies,
– Franziska Heimburger a publié un excellent billet sur sa façon d’organiser sa documentation, qui ne peut pas ne pas intéresser les bibliothécaires,
Côté BU, on est préoccupé
– Olivier Legendre s’inquiète de savoir si l’open access est soluble dans le café équitable,
– Guillaume Hatt se désespère des DRM qui finiront par avoir notre peau,
– Daniel Bourrion s’agace de notre absence de spécialisation,
– enfin, Pierre Marige revient sur les numériquement incapables que nous serions.

« Profession bibliothécaire »

J’achève la lecture du court ouvrage de Guylaine Beaudry, Profession bibliothécaire, paru aux Presses universitaires de Montréal. Il décrit une approche du métier dont, me semble-t-il, nous devrions nous inspirer  plus souvent. 
La bibliothéconomie est d’emblée remise à sa place, c’est une pratique, en aucun cas une science. Elle est rattachée aux sciences de l’information dont elle s’inspire pour améliorer ses services. Après avoir décrit le champ des sciences de l’information, Guylaine Beaudry aborde la question du numérique dont, écrit-elle, nous ne « sommes qu’à l’âge de pierre. Jusqu’à maintenant, nous n’avons réalisé qu’une simple translation de l’imprimé au numérique. Tout est encore à faire. »
Dans le chapitre « Les bibliothèques : lieux de liberté », la bibliothèque est décrite comme « lieu d’accumulation de livres », mais surtout comme un endroit de « mise en relation » des textes entre eux : « l’accumulation de livres est génératrice de sens et, selon la jolie formule de Christian Jacob, elle fait reculer les frontières du temps et de l’espace ». La bibliothèque est aussi considérée comme « un moyen d’externalisation de la mémoire » puisque les besoins de mémorisation se sont atténués depuis l’invention de l’écriture (et non pas de l’internet, ajouterais-je pour répondre aux esprits chagrin !). J’aime beaucoup le passage qui suit qui me semble constituer une définition aussi jolie que juste de la bibliothèque d’aujourd’hui, tant physique que numérique :

« Pour reprendre la belle expression de Robert Damien, développée par Michel Melot, la bibliothèque est le « lieu des liens ». Lire, c’est entrer en dialogue avec soi-même ainsi qu’avec les auteurs, morts ou vivants. C’est entrer en communication avec l’humanité dans ce qu’elle a produit de culture, de sciences et de connaissances. »

Guylaine Beaudry lie étroitement les missions des bibliothèques et la notion de bien commun. Voici la définition qu’elle donne de cette notion :

« Parce qu’elles sont centrales à la mission des bibliothèques, arrêtons-nous un instant sur les notions de service public et de bien commun.Le bien commun n’est pas une collection de biens individuels. Il n’est pas non plus à possession et à usage exclusifs. Il relève de l’intérêt général et exprime la solidarité qui se manifeste dans une collectivité. Au-delà des besoins de base qui consistent à se nourrir, à se loger, à se soigner et à s’éduquer — et auxquels le bien commun participe —, les dimensions de l’accès à la culture, aux connaissances et à l’information y sont aussi intégrées pour permettre le développement et l’épanouissement des personnes. La consommation d’un bien commun par une personne ne diminue en rien sa valeur aux yeux des autres. En outre, le bien commun est accessible gratuitement et personne ne peut en être exclu. Il vise le bien-être du groupe par opposition aux intérêts d’un individu ou d’un groupe en particulier. »

Et de conclure que les bibliothèques « participent à la constitution et au partage d’un bien commun  En elles-mêmes, elles sont un bien public. » Vous êtes convaincus ? Cliquez ici 😉

Du côté des BU, ce que j’ai lu m’a fait tout simplement rêver :

« Une autre caractéristique distingue ces dernières, cette fois-ci par le statut des bibliothécaires, particulièrement dans les milieux anglophones, où ils sont considérés comme faisant parti du corps professoral. Cela implique pour ces bibliothécaires de mener des activités de recherche dans leur domaine. Les bibliothécaires des milieux de l’éducation travaillent souvent à l’extérieur des murs de la bibliothèque, soit par leurs enseignements en salle de classe, soit par leur présence dans les laboratoires de recherche. »

C’est très curieux comme à la lecture d’un tel paragraphe, vous pensez instamment mise en disponibilité, visa de travail, billets d’avion, etc. quand votre quotidien est si singulièrement différent de ce que vous voyez décrit ici….

En continuant la lecture, on apprend que le Québec protège depuis 1979 son réseau de librairies par une loi sur le développement des entreprises québécoises sur le domaine du livre. Celle-ci oblige les bibliothécaires à faire leurs acquisitions dans les librairies de la région. Là encore, doux rêve de l’acquéreur qui a souvent envie d’aller échanger avec la librairie spécialisée de sa ville, mais qui ne le fait pas sachant qu’on ne lui achètera rien (pour les non-bibliothécaires, en France les achats sont régis par des marchés publics, très souvent remportés par des grandes centrales de vente).

Décrivant les nombreuses facettes du métier, l’auteur estime qu’il est nécessaire au bibliothécaire de posséder des « notions de sociologie et de psychologie […] pour comprendre la nature et les besoins des usagers. » Là encore, il m’a semblé que nous en étions très loin.

Enfin, « le bibliothécaire, lit-on, doit être féru de technologies, devenir un utilisateur habile des outils informatiques et un expert des formats d’encodage des publications numériques ».

« Être bibliothécaire, conclut Guylaine Beaudry, c’est servir l’intérêt du public et du bien commun, et favoriser l’intérêt de la collectivité. » J’ajouterai impertinemment, être bibliothécaire, ce n’est pas s’abriter derrière le catalogage !

Le rendez-vous des lettres #4 : dernière journée

Dernier billet consacré à #pnflettres, très très lacunaire, plus brouillon que ceux des deux premiers jours  à mon âge, on n’a plus l’habitude de la prise de notes quotidienne… Le Café pédagogique a publié, lui, de vrais et beaux compte-rendus.
Je n’ai pas assisté aux ateliers, même si finalement je le regrette  pour tout dire, j’avais pris trois jours de congés pour assister au Rendez-vous des lettres et je m’étais réservé le temps des ateliers pour des vacances en 140 minutes.

Compétences scripturales et nouvelles littératies : quels apprentissages pour le futur ?
Etienne Candel
Il n’y a pas de véritable écriture numérique, dans la mesure où ce que l’on écrit, même sur ordinateur, n’est pas vraiment numérique. Pourtant, c’est une notion qui mobilise, qui est devenue ordinaire. Elle s’est banalisée via une série d’objets habituels pour nous : à cause d’eux, on croit reconnaître un certain type d’écriture. Ces objets ordinaires conditionnent des pratiques, qui deviennent routinières elles aussi.
Double mouvement induit par ces objets ordinaires, inscrits dans une nouveauté qui se périme très vite : d’un côté, un champ numérique qui s’affirme et de l’autre, des pratiques d’écritures qui cherchent à s’émanciper d’une tradition.
Valérie Jeanne-Perrier
4 millions d’utilisateurs d’Instagram dans le monde.
C’est une écriture qui se dessine à travers Instagram.
La plupart des outils de l’internet se présentent comme des structures rigides qui préparent et encadrent les productions à venir (notion d’architexte). Elles sont aujourd’hui transformées en contraintes, qui sont pourtant libératrices pour les usagers.
La photo est un média, une écriture construite. C’est un travail du regard. On peut lire l’image comme une construction : focale, choix du cadre, etc. sont les étapes d’une écriture. L’outil propose un schéma d’écriture.
Rémi Mathis
Wikipedia a été créé en 2001. On a assisté d’abord à un mouvement de grande méfiance, qui a culminé en 2007, puis à une légitimation. Il se place aujourd’hui au 6e rang français et mondial des sites les plus consultés.
Il reste encore des détracteurs : Wikipédia détruirait les capacités de réflexion et favoriseraient les copier-coller, le plagiat (voir l’enseignant qui avait modifié la notice de Charles de Vion d’Alibray).
Les pratiques doivent évoluer chez les élèves mais aussi chez leurs professeurs : beaucoup de gens utilisent Wikipédia mais peu la connaissent vraiment, notamment les onglets historique et discussion).
D’un régime de la rareté de l’information à l’abondance : il faut désormais apprendre ce qu’est la recherche d’information (complémentarité papier/internet), savoir ce qu’est une source, comment on l’évalue et on l’intègre à un discours, apprendre comment on rédige (notamment en collaboratif).
Avantages pédagogiques : le texte sur wikipédia est utile, il sera lu (responsabilité). Apprendre à écrire de manière correcte pour être utile aux autres et respecter les règles est indispensable.
Cadre particulier de l’écriture sur wikipedia : on sait qu’on va être lu, donc on est attentif (citations, orthographe, typographie).
Wikipedia : 20 millions d’utilisateurs par mois en France. Les élèves l’utiliseront de toute façon, aux enseignants de faire qu’ils sachent l’utiliser correctement.
Le livre papier est un produit fini, dont toutes étapes de la rédaction sont cachées. Sur wikipedia, toutes les étapes de la rédaction sont mises en valeur (connaissance en mouvement, discutée).
Gustavo Gomez-Mejia
Posture de jésuite : le plagiat est le démon mais il faut le comprendre pour pouvoir combattre l’adversaire.
Auctorialité vsreproductibilité. Fidélité vs originalité.
Le copier-coller n’est pas neutre.
Mémoire du copier-coller : deux bords textuels entre idéologie et culture. Vient d’un problème très ancien, qui est celui de l’intertextualité (Barthes : bord plagiaire et bord subversif).
Strates mémorielles autour du copier/coller :
1- figures anachronique du moine copiste, ultra fidélité récompensée,
2- Strict respect de la fonction auteur : auctorialité totémisée,
3- originalité érigée en valeur dominante (Gide, besoin d’originalité à tout prix) : reproductibilité dévaluée,
4- créativité posée comme valeur émergente : esthétique post-moderne du remix et du mashup : reproductibilité revalorisée.
Pratique banale du ctrlC/crtlV : est-ce une reprise respectueuse ? Un création postmoderne ?
Digital literacy :
1- accoutumance aux rythmes et routines intellectuelles des machines textuelles (invitation à s’approprier n’importe quelle oeuvre comme document-fichier).
2- Promesses décomplexées de l’intelligence collective (noblesse encyclopédique à toute sortes de données, souvent produites par des internautes pris dans les filets rhétoriques du partage).
3- Abondance des ressources susceptibles de plagiat (Persée, Cairn, mais aussi El rincón del vago) : autorités de facto. Face à cette offre, essor des outils anti-plagiats : solutions ad hoc.
La commodité du copier-coller, doublée d’un méconnaissance des régimes de citation, semble à l’origine de nombreux plagiats : un travail sur l’effort citationnel s’impose.
Il reste un travail important à entreprendre pour faire prendre conscience de ce qu’est un style rédactionnel, sur d’éventuelles anomalies éditoriales (balises résiduelles).
L’autorité des sources ne peut reposer que sur la popularité algorithmique de google ; les étudiants doivent discerner ce qui fait la qualité/crédibilité/scientificité d’une source.
Alexandra Saemmer
Concernant la citation, Antoine Compagnon a introduit les idées de Narcisse et de Pilate. La citation a elle-même constitué un mode de renvoi plus ambigu qu’il n’y paraît : c’est à la fois le modèle ambigu du miroir de Narcisse et en même temps l’empreinte de Pilate. L’auteur peut toujours se défausser en désignant les guillemets (ce n’est pas de moi, mais de l’autre).
Études humanistes et culture numérique
Aurélien Berra
Pour une définition, voir l’article d’Aurélien Berra.
L’expérience de la manipulation des corpus permet de déceler tous les avantages et les insuffisances des outils.
Digital humanities : appelées au départ humanities computing, c’est-à-dire l’informatique dans le champ des humanités. Le terme employé aujourd’hui a été demandé par un éditeur, c’est un terme marketing.
Willard McCarthy, Humanities computing (voir http://dhhumanist.org/).
Ce champ déjà constitué réfléchit sur lui-même et ses pratiques depuis une cinquantaine d’années. Il a marqué un tournant avec l’émergence du web : passage à autre chose que la simple computation.
En France, le terme utilisé est aussi humanités numériques mais aussi digital humanities (francisé !). On remarque que l’expression humanités digitales commence aussi à se répandre (notamment au THATCamp).
Intérêt du numérique : conserver cette dimension de calcul et insérer tout ce que le numérique change dans nos sociétés.
Mot humanités : discipline qui émerge ou coalition stratégique ? Plutôt un moment ou un mouvement, où il s’agit de réintégrer les traditions dans des pratiques nouvelles. Pluralité de langues, de disciplines et des futurs.

Pas de master ni de doctorats en France pour l’instant.

Je reporte ici quelques bribes twittesques, à moins qu’il ne s’agisse d’une remarque à la fin de l’intervention (ce qui revient un peu au même).
Pour Etienne Candel, envisager l’informatique en termes d’outils et d’usages permet d’évacuer les faux problèmes. Pour Aurélien Berra, l’étiquette humanités numériques est importante maintenant : c’est un moment, mieux un mouvement.

Michel Bernard
Aux Etats-Unis, les humanités numériques englobent le droit, mais en France ? De même, est-ce que les lettres appartiennent aux SHS ?
Le terme humanités numériques est un slogan opérationnel, qui permet de travailler ensemble.
Il faut sortir de la logique des pionniers : aujourd’hui, nous n’avons plus le choix d’adopter ou pas les technologies. La question est désormais de savoir comment les utiliser.
Les études littéraires par ordinateurs peuvent être envisagées selon 3 directions : 1- constitution de corpus : les établir, présenter, éditer. 2- diffusion des connaissances : publications en ligne, l’édition savante se met enfin à la diffusion en ligne des revues, colloques, etc. 3- création numérique : notre boîte à outils critique n’est plus pertinente pour juger des nouvelles créations.
Michel Bernard a expliqué qu’il enseignait le fonctionnement des bases de données, tristesse d’Olympio de la bibliothécaire…

Rendez-vous l’an prochain

Que dire pour conclure cette série de billets ? Que je ne regrette absolument pas le temps pris pour assister à #pnflettres. Voilà trois journées extrêmement enrichissantes qui mettaient l’accent sur bien des questions que je me pose aux quotidiens, en observant les pratiques des lecteurs. Plusieurs des interventions m’ont donné envie de m’inscrire en master 2, moi qui suis de la dernière génération des maîtrises.
C’est un comble, vu la qualité du wifi cette année, mais c’est le livetweet de l’année dernière qui m’avait donné envie d’assister au colloque. J’espère que les maigres tweets qui ont été publiés ces jours-ci piqueront la curiosité de quelques-uns et qu’ils viendront l’an prochain. Il faut ajouter que #pnflettres c’est gratuit, même si vous n’êtes pas enseignant ! C’est une chose si rare actuellement qu’elle mérite d’être soulignée.
Quelques regrets de bibliothécaire : si l’on exclut les collègues conservateurs qui intervenaient, je crois que les bibliothécaires dans la salle pouvaient se compter sur les doigts d’une main. C’est tellement dommage. Les enseignants du secondaire et les universitaires ont compris l’intérêt de travailler ensemble face aux mutations du numérique, et nous ? 

« Je fais de la philologie grecque, je lis des manuscrits byzantins (plus souvent sur des microfilms que sur les parchemins, d’ailleurs) et je viens de lire un roman sur ma tablette. C’était le premier texte long et de fiction que je lisais sur un écran d’une façon continue. » En somme, le texte est polymorphe. C’est un fait ancien, mais aussi une réalité concrète pour nombre de lecteurs, dont je fais partie. Si je suis un amoureux des manuscrits, des livres, c’est avant tout le texte qui m’importe. Et s’il faut se battre pour des supports, ce n’est pas pour eux-mêmes, mais bien pour ce qu’ils permettent, à savoir une forme de communication, une forme de culture, une forme de réflexion.

Faire des humanités numériques”, Aurélien Berra

Le rendez-vous des lettres #3 : deuxième journée

Suite des notes prises à #pnflettres, toujours sans wifi… Ceci n’est pas un compte-rendu, juste des bribes saisies sur le vif. D’ailleurs, un véritable compte-rendu se serait arrangé pour ne pas intituler « Le rendez-vous des lettres #3 : deuxième journée », comme je l’ai maladroitement fait ci-dessus !
 
La matinée était consacrée aux « créations littéraires et arts numériques : entre contraintes, héritages et renouvellement des formes. »
 
Alexandra Saemmer
La littérature numérique est née dans les années 60, ce n’est pas un phénomène récent.
Le succès des tablettes est en train de le rendre possible l’existence de la littérature numérique.
Les réticences vis-à-vis du numérique (froideur de l’ordinateur, odeur du papier) s’expliquent par le fait que les utilisateurs attendent autre chose des supports numériques : la dimension ludique n’est pas à exclure.
Sur internet, la pratique de la vérification de l’information n’est pas à négliger : le texte numérique se trouve associé à une connaissance explicite.
La démarche de la littérature nativement numérique est expérimentale : elle est une littérature qui résiste, critique et questionne à plusieurs égards. Elle résiste à une culture du calculable.
L’un des courants les plus anciens : le générateur de textes, avec Jean-Pierre Balpe. Cette formes pose la question de la place de l’auteur et de l’inspiration. En creux, la littérature générative montre surtout ce qui n’est pas automatisable dans la littérature. Pour Calvino, une littérature automatisée serait classique car elle est soumise à des règles, des stéréotypes et des normes. Voir le générateur philosophique sur charabia.net
La littérature numérique résiste à l’idée que le texte n’est qu’un texte. Elle résiste aussi à l’idée qu’un récit doit raconter en mettant de l’ordre dans le chaos : après guerre, c’est précisément le chaos qu’ont exploité les auteurs, par exemple dans le Nouveau Roman. L’hypertexte permet de naviguer dans ce chaos.
La littérature numérique sensibilise aux dérives de la lecture numérique, notamment le clic frénétique.
Serge Bouchardon
La manière dont on a abordé cette littérature a évolué : dans un premier temps, approche théorique centrée sur l’hypertexte, ensuite une étape analytique, critique, qui s’intéresse à l’interprétation des oeuvres.
Il existe une tension entre le programme et l’écriture : elle pose la question de savoir si une écriture programmée a du sens ? Tension créatrice (Simondon).
Alexandra Saemmer
Beaucoup d’auteurs questionnent le rôle des outils et leur influence sur leur oeuvre même dans le cadre de la création numérique. Les auteurs triturent et questionnent des outils qui ont été conçus pour autre chose que de la littérature.
Bertrand Gervais
L’ordinateur n’est plus un outil, il est devenu un média.
Nicolas Taffin
L’auteur s’affranchit désormais du schéma d’édition traditionnel.
Bertrand Gervais
Particularité des textes numériques : avant de les comprendre, il faut savoir les manipuler.
A partir d’internet, les hypertextes deviennent des hypermédias.
Nous sommes à un moment où les deux cultures coexistent, où les textes essaient de s’adapter au numérique.
L’écriture numérique est très variée : du simple blogger ou wordpress, à l’utilisation de flash et prezi, etc.
Bleu orange : revue de littérature hypermédiatique.
Avec le livre numérique, on est passé de la mécanique à l’électrique : il n’y a pas de dématérialisation.
Serge Bouchardon
Il existe une tension entre le numérique et la création littéraire.
La littérature numérique a une valeur heuristique. Elle permet de faire retour sur la littérature en elle-même : notions de texte, récit, littérarité, etc.
Le texte numérique consiste en deux types de texte : le texte codé (forme d’enregistrement) et le texte qui s’affiche à l’écran (ses formes de manifestation peuvent être nombreuses).
Le récit devient interactif : on assiste à un déplacement de la clôture en tant que fin de récit, vers la clôture en tant que fin d’œuvre.
Son hypothèse est que les figures spécifiques à l’écriture interactive s’appuient davantage sur des figures de manipulation que sur des tropes.
 
Alexandra Saemmer
Il s’exprime une tension entre format et forme.
J’ai malheureusement dû sortir pendant l’intervention de Nicolas Taffin, dont je n’ai entendu que la fin, passionnante. Si quelqu’un a des notes, même quelques lignes, je prends !
« Écrire web » ou comment s’invente la littérature aujourd’hui ?
Patrick Souchon
Le web littéraire renouvelle la dimension dialogale qui était celle des salons littéraires.
Xavier de la Porte a animé l’après-midi avec un humour cinglant
Le web littéraire est traversé par la notion de familiarité, développée par Alexandre Gefen. Il faut s’en servir, mais ne pas en être dupe non plus.
Gilles Bonnet
L’écriture numérique pose la question des instabilités : autant de défis lancés aux catégories et aux notions habituelles de l’analyse littéraire.
La notion d’auteur même d’auteur est en cours de mutation : se développe une proximité avec l’instance du lecteur. Les travaux d’Alain Viala le montrent. (voir les Vases communicants).
Il se développe une proximité entre auteur instable/insaisisable et des lecteurs qui ne le sont pas moins.
Dans sa tentative de délivrer des certificats de légitimité, l’institution avait cru trouver des remparts catégoriels : d’un côté la para-littérature et de l’autre la vraie littérature avec un auteur éloigné des lecteurs. Les nouvelles formes qui émergent brouillent ces pistes.
Les interventions littéraires sur le web sont désormais polyphoniques et poreuses. S’ajoute une pratique du bouillonnement anonyme : beaucoup de blogs sont anonymes, tenus par des auteurs qui veulent des ateliers à ciel ouverts. La figure de l’auteur s’érode : internet s’expérimente comme un milieu décentré ou acentré (décentrement de l’espace temps numérique, cf. lieu d’être du créateur chez  Maingueneau).
« J’habite pour toujours un bâtiment qui va crouler », écrit Baudelaire. L’auteur aujourd’hui s’installe dans quelque chose d’instable, à la double dimension : instabilité auctoriale et instabilité du texte. Le texte aux multiples stabilités est inachevé et inachevable, car le web autorise les repentirs et les compléments. La structure de la liste peut servir ces versions.
On voit émerger une poétique des seuils, du liminaire : le textuel s’est déjà ouvert à l’iconique. Le lien hypertexte est formulé en partie déjà en fonction de son autre, c’est-à-dire de ce à quoi il va renvoyer. La scansion, la métrique du texte numérique est rythmée par les hypertextes.
Le succès des écritures à contrainte sur internet s’explique par le fait qu’ils accompagnent la performance (cf. les travaux de Zumthor sur la performance).
L’imprévu est réinstauré dans l’œuvre numérique.
Après l’intervention de Gilles Bonnet, qui a eu la délicate attention de choisir ses exemples chez les auteurs présents sur scène, j’avoue, j’ai cessé de prendre des notes pendant les suivantes. Plusieurs raisons à cela ? Olivier Ertzscheid avait déjà mis en ligne la trame de son propos. Lisant le blog de Lionel Maurel, je connaissais les sujets qu’il aborderait et j’avais moins besoin de fixer mes souvenirs. 
 
Et le pecha kucha ?
 
Impossible de prendre des notes pendant les performances. Ce n’est pas l’envie qui m’en manquait à certains moments – je suis une compulsive du carnet de citations – mais la salle était très silencieuse et le clavier aurait dérangé (c’est la tablette qu’il aurait fallu pour noter).
 
On peut retrouver sur la toile des trames et des traces de beaucoup d’intervenants :
Avec eux se trouvait une participante qui ne figurait pas sur le programme mais qui pourtant était très présente, c’est Maryse Hache.
Les interventions étaient scindées en deux parties, entre lesquelles a eu lieu une intervention aussi belle qu’indispensable de François Bon, « paradoxes de la mutation numérique du livre« .
Il faut citer aussi Cécile Portier bien sûr, Alexandra Saemmer encore et Luc Dall’Armellina qu’on a vus plus tôt dans la journée.
L’épisode #4, dernier de la série #pnflettres, très prochainement sur votre écran !

Le Rendez-vous des lettres #2 : table ronde, nouvelles textualités, nouvelles humanités ?

Suite des notes prises lors de la première journée de #pnflettres. Même remarque que précédemment, il peut y avoir des erreurs dans ces lignes, saisies à la volée. Un autre tweetdoc pour archiver le livetweet que je n’ai pas pu suivre en direct, à cause du wifi au compte-goutte. 
NB, dame BnF : un tweetdoc relu le soir est au livetweet ce qu’une captation vidéo est au théâtre…

Table ronde avec Milad Doueihi (université de Laval, Québec), Frédéric Kaplan (école polytechnique de Lausanne), Yves Citton (université Grenoble 3), Emmanuel Souchier (CELSA), animée par Lucile Trunel (BnF)

La dimension globale et culturelle du numérique est essentielle. Le numérique est une nouvelle culture à penser comme une dimension de l’humain.

Milad Doueihi
Le mot  numérique est entré rapidement dans notre vocabulaire et les usages diffèrent. Sa définition reste floue : il désigne à la fois des manières de faire, de lire, d’interagir et de faire société, sans qu’on arrive à le définir de manière consensuelle.
Le numérique au départ est d’abord une branche de l’informatique, avant de devenir une industrie. Il n’est devenu culture qu’ensuite. Pourquoi ? La culture peut se définir comme quelque chose à savoir pour appartenir à un groupe : le numérique implique des manières de savoir essentielles pour prendre part aux groupes aujourd’hui. Le numérique est aussi au coeur de la valeur de partage.
Il est essentiel de se rappeler que le numérique associe une dimension informatique formaliste à une autre dimension qui cohabite avec des perspectives historiques et anthropologiques notamment.
Le fétichisme du livre est une véritable exception culturelle française ! De Mallarmé à Blanchot, avec entre les deux Borges : ils ont contribué à la construction d’une idée de l’oeuvre (labyrinthe), dont on s’éloigne peu à peu. Chez Blanchot se trouvait déjà l’interrogation d’une spatialité de l’oeuvre.

Yves Citton 
Qu’est-ce qui se passerait si à la place de ces mots à la mode, on parlait de culture de l’interprétation ? Il faut reconnaître cette espèce de grande division entre culture scientifique et culture humaniste, avec les données opposées à l’interprétation. Il faut reconnaître qu’il y a une différence entre elles mais surtout affirmer leur complémentarité.
Les humanités sont des pratiques réfléchies de l’interprétation. Quatre critères peuvent être établis pour la complémentarité entre économie de la connaissance et interprétation.
– du côté de l’économie de la connaissance, accélération et rapidité. Côté culture de l’interprétation : lenteur nécessaire, limite de l’étude à un corpus restreint (une page, un sonnet : Yves Citton a pris l’exemple de l’explication de texte) et ressassement sur le texte.
– le mode de connaissance oscille entre une reconnaissance très rapide de quelque chose qui s’inscrit dans des catégories pré-paramétrées (barcode par exemple) versus une découverte de significations inédites du côté de l’interprétation.
– le statut de la communication : d’un côté, une connexion intense pour avoir accès à des flux. Plus on communique, plus le savoir est enrichi (économie de la connaissance). De l’autre, une suspension de la communication (arrêter son portable dans la classe), c’est-à-dire le luxe d’une vacuole qui n’oblige pas à être réactif à des sollicitations permanentes.
– l’économie de la connaissance nous dit que l’information doit être vraie. En même temps, nous avons besoin d’une multiplicité d’interprétations possibles, il s’agit de construire des subjectivations.
On a donc besoin de l’interprétation pour construire l’économie de la connaissance à notre profit.

Emmanuel Souchier
Pour lire une oeuvre de patrimoine, que nous faut-il aujourd’hui ? Un savoir-lire et un savoir-écrire. Les lettres sont en grande difficulté, pourtant elles sont l’avenir. Pour vivre le numérique, nous devons être des citoyens lettrés.

On a coutume de dire que l’ensemble de nos productions médiatiques est fragmentée et fragmentaire. Or  la pratique du fragment remonte à l’Antiquité. Peut-elle éclairer les conditions du savoir-lire/écrire ?
La rhétorique guide, accompagne, commande son lecteur. Le fragment, lui, postule la présence d’un lecteur éminemment actif. C’est au lecteur de faire le lien, d’élaborer l’articulation de la signification. C’est une invitation à la littéracie : entre chaque fragment, un blanc. Au lecteur de les vivre, les lier, les lire et les signifier. Entre les fragments se trouve un espace de la signification, de l’interprétation. Ce sont les fameux hypomnemata, des espaces où prendre le temps de soi au creux de la lecture.
La pratique du fragment est une pratique de lettré, qui est tout sauf démocratique. Si nous le goûtons, c’est que nous possédons les savoirs et les savoirs-faire des lettrés.
Le lecteur de fragments veut participer à la production du texte. C’est une revendication de privilégié, qui repose sur un socle d’apprentissages déjà acquis.
Le fragment se construit en opposition à la rhétorique. Il implique un statut de lecteur/auteur/acteur.

Frédéric Kaplan
Exemple des cartes : ce sont des représentations régulées dominées par des règles d’usage. Une carte, ça s’apprend (règles, imitation). Ces dernières années, les formes se sont mécanisées, puis stabilisées : on a assisté à un basculement des règles d’usages. Auparavant, on achetait une carte, puis un changement s’est opéré, notamment avec google maps : toutes les cartes du monde sont disponibles, gratuitement. On peut zoomer de manière continue. On peut aussi annoter, faire des ajouts, partager et insérer la carte dans d’autres pages. On y  a perdu la protection contre la pluie qu’on pouvait avoir avec les cartes papier qui nous abritaient !
Passage de l’outil à la machine : la machine est un outil qui incorpore ses propres gestes. C’est une transition intéressante que celle des cartes actuellement : on vous offre l’usage des cartes parce qu’on imagine que vous allez les enrichir.
Dans les livres numériques, si les gestes sont intégrés, la stabilité ne l’est plus. A l’avenir, n »assistera-t-on pas à un échange des traces numériques contre la gratuité du livre ?
Le livre diffère de la carte car il est un volume. Le livre est en trois dimensions, c’est un conteneur. Il renferme des objets en deux dimensions, comme images et diagrammes. La mécanisation du livre consiste à trouver des contenus mis en espace.
Pour Paul Otlet, « le livre sera en croissance continue ». C’est un modèle encyclopédique. La forme encyclopédique a toujours détesté la forme close de l’objet livre. Elle a accompagné l’évolution du numérique. Aujourd’hui, la société considère que les formes closes sont passées de mode : importance de l’interopérabilité, de la standardisation des contenus.
Il existe encore des poches de résistance, qui ne sont pas perçues comme telles, de ceux qui pensent qu’il existe des formes numériques fermées : elles prennent la forme des applications. Le livre pour enfant (village gaulois) est dans le monde numérique le domaine le plus innovant où on expérimente des nouvelles formes de livres.

Milad Doueihi
Nous avons basculé d’une économie de la rareté (savoir-lire, littéracie) à une économie de la surabondance. 
Ce que nous vivons aujourd’hui est dans la continuité de l’héritage conflictuel des Lumières : on relevait une opposition entre une forme de tâtonnement chez Diderot face à une forme plus mathématique, qui est celle de D’Alembert. 
Pour garantir l’autonomie du lecteur, il faut qu’il accepte de vérifier : la pratique philologique devient la méthode critique. Aujourd’hui, le défi de la formation, le défi pédagogique des lettrés est d’essayer de faire passer cette méthode critique.
Le fait de savoir coder, en ce sens, constitue un véritable contrat social. C’est une pratique de lettré (cf. Donald Knuth).

Yves Citton
Passage d’une économie de la rareté à une économie de la surabondance.
La première rareté est notre temps d’attention. On assiste à une énorme transformation économique, on ne se rend pas compte que, nous lecteurs, que la richesse est dans notre temps d’attention.
La question de l’économie de l’attention n’est pas nouvelle. La rhétorique, c’est déjà essayer de capter et soutenir l’attention. Et au 18e, tout le monde se plaint déjà qu’il existe trop de livres, que tout le monde publie n’importe quoi !
C’est l’interdépendance intensifiée et globalisée qui rend l’attention de nos semblables de plus en plus cruciale. L’économie mondiale repose tellement sur le fait qu’on aime telle marque ou telle autre, que ce fonctionnement de l’attention conditionne désormais toute l’économie réelle.
Il faut donc passer d’une économie de l’attention à une écologie de l’attention.
Du point de vue de l’interprétation : l’attention n’est pas seulement du temps mais elle est aussi constituée de qualités. L’interprétation peut se concevoir comme un régime attentionnel particulier : elle sous-entend une isolation dans une vacuole, une immersion. Elle oppose l’attention, qui peut être captive, à l’alerte, volontaire : à moi de voir ce qui fait problème dans le texte.

Emmanuel Souchier
Pour André Leroi-Gourhan, l’outil constitue une externalisation de la mémoire humaine.
Frédéric Kaplan
Le modèle que nous utilisons a 30 ans. C’est le modèle Xerox (vendeur de photocopieuses !), le fameux Wysiwyg. C’est un modèle qui nous contraint : nous vivons dans la culture de l’imprimé. Nous ne vivons pas dans la culture numérique tant que nous utilisons word et powerpoint !
Le web s’est construit sur un modèle du document papier. L’hypertexte, par exemple, est un système issu du document papier.
Les manières de citer devraient être aujourd’hui différentes du couper/coller. Il devrait être interdit de couper/coller pour pouvoir citer en permanence car la duplication vient du monde imprimé. La question est désormais celle de l’accès à nos fichiers. 
La notion d’immersion dans le livre file la métaphore aquatique : il y a des livres jacuzzi et des livres mer du Nord ! Pourtant, même dans ladite lecture immersive, on lève les yeux : c’est déjà une respiration, une vacuole, déjà une idée, une annotation à venir.

Yves Citton
Fétichisme du livre : est-ce que les nouveaux médias qui impliqueraient un certain régime attentionnel n’empêcheraient pas la sacralisation du texte ?
150 ans de philologie ont produit quelque chose : peut-on le conserver ? (exemple des différentes éditions de Cyrano, sur la toile : français partiellement modernisé, pas du tout, totalement. Flou total).

Milad Doueihi
Dans un certain contexte, il y a une nécessité de conserver une tradition philologique. D’un autre côté, on se heurte à la sacralisation du livre avec une attitude presque messianique. Un déplacement du statut sacralisé et de la légitimité des auteurs est en train de s’opérer, créant des conflits de légitimité.
Alain Viala a consacré sa thèse à la renaissance de l’écrivain. Aujourd’hui, on assiste à la renaissance du lecteur, qu’on peut mettre en parallèle avec la naissance des logiciels libres et de la première licence GNU. Tout lecteur est déjà un auteur.

Emmanuel Souchier
On doit arriver à considérer le code comme partie intégrante de la pratique d’écriture. Il existe une tension entre la très grande littéracie que demande cette pratique et l’usage du grand public.
Frédéric Kaplan
L’arrivée du lectorat romanesque et populaire au 19e siècle a formé un lectorat qui était prêt à la lecture de la Phénoménologie de l’esprit. Il faut être extrêmement attentif aux formes de lectorat populaire : l’attention longue existe toujours, notamment avec les séries télévisées qui gardent leur public plusieurs années. Il est  fort possible que les formes intellectuelles qui émergent sont celles qui seront prêtes à accueillir les pratiques lettrées de demain.
Yves Citton
Aujourd’hui, on dépend tous des programmes de façon intime mais on est complètement illettré face à la programmation et aux logiciels. Aller derrière la machine constitue un enjeu politique et culturel. Il faut donner aux jeunes générations la possibilité de comprendre les programmes et la capacité d’en développer (éthique hacker). Les humanités numériques doivent aussi se poser la question du logiciel libre.

Le rendez-vous des Lettres : conférence inaugurale, Antoine Compagnon

« L’œuvre et l’auteur à l’heure du numérique » était le titre de la conférence inaugurale d’Antoine Compagnon au rendez-vous des Lettres. Ci-dessous quelques notes, certes relues, mais qui ne sont pas à l’abri des coquilles et autres erreurs de compréhension (les commentaires sont les bienvenus si vous en repérez). Prenez-les pour ce qu’elles sont, de simples notes, et non un véritable compte-rendu. Vous pouvez les compléter par ce tweetdoc du maigre livetweet de la matinée (ô wifi, seras-tu là demain ?)

Toutes les conséquences de la plongée dans le numérique n’ont pas encore été mesurées. Il s’agit de s’interroger sur les effets de la vie numérique sur notre expérience du monde, sur la formation à la lecture à travers d’autres supports.
Antoine Compagnon a longuement évoqué Proust sur qui va porter son prochain cours au collège de France. La première édition de la Recherche en collection blanche était pleine de coquilles, puis parution de la Pléiade dans les années 1950 et enfin des poches dans les années 1960.
1965 : lorsque le livre de poche a envahi le paysage de la librairie, on a entendu exactement les mêmes réticences que celles qui s’expriment aujourd’hui à propos de la dématérialisation des textes et de leurs supports numériques. Beaucoup s’interrogeaient à l’époque pour savoir si la culture du poche était encore de la culture !
Antoine Compagnon regrette que les humanités numériques soient très peu développées en France. La lecture ordinaire comme la lecture savante sont affectées par le numérique, de la même façon que les manières d’écrire et de travailler.
Il est revenu sur sa propre expérience de la lecture sur écran, qui a commencé par ses propres écrits. Auparavant, la place prépondérante de l’écriture manuscrite conditionnait son travail : son édition de Sodome et Gomorrhe est le fruit d’heures à recopier les cahiers de Proust rue de Richelieu, puis de saisie nocturne à la machine à écrire (offerte par Barthes qui ne parvenait pas à s’en servir !).
Les premières bases de données ont constitué un formidable outil de travail, notamment Frantext (TLFi), à partir des années 1960. Ce qui manque en France aujourd’hui est une base du français contemporain, comme il en existe aux Etats-Unis (COCA).
Gallica, Archives.org et Google books permettent de renouveler l’enseignement. De même, l’accès à distance aux bases de données facilite grandement la consultation (sa fréquentation des bibliothèques s’en trouve réduite). La recherche des ouvrages numérisés sur un sujet est devenue pour lui un préalable à toute recherche.
Antoine Compagnon a évoqué le sort de la revue qu’il dirige, Critique,sur Cairn depuis un an : à sa grande surprise, les articles vendus à l’unité ont généré un revenu important, dont il espère qu’il ne cannibalisera pas les abonnements.
Il a cité entre autres CAIRN, Revues.org pour les revues scientifiques, Factiva, Lexis Nexis pour sa lecture de la presse (et la bibliothécaire que je suis se disait, que voilà un bon guide de la documentation électronique, si les étudiants pouvaient l’entendre!). Néanmoins, il regrettait les difficultés récurrentes d’accès, notamment en ce qui concerne les mots de passe.
L’écriture a changé : et de citer Pierre Nora, qui prétendait il y a quinze ans savoir si le manuscrit qu’il recevait avait été écrit au traitement de texte ou à la main. Le traitement de texte générait des excroissances que ne permettait pas le papier. Le logiciel peut faire perdre de vue la structure d’un texte, ses développements et ses harmonies. Internet permet de développer le texte en ce sens qu’on peut en permanence ajouter des « bulles de lecture » et des boursouflements. Cela dit, Montaigne ne procédait pas autrement. Les étudiants de son époque, a rappelé Antoine Compagnon, cherchaient à déceler quelles étaient les différentes couches du texte de Montaigne. Les éditions récentes des Essais ne les distinguent plus : est-ce un effet du texte numérique ?
Sur le projet Gutenberg, on peut découvrir le profil des lecteurs La Recherche : Du côté de chez Swann est quatre fois plus téléchargé que Sodome et Gomorrhe ! On note une déperdition des lecteurs, la même que celle des éditions papier, mais un vrai lecteur de Proust est celui qui dépasse Sodome et Gomorrhe.
La BnF présente des éditions payantes de nombreuses œuvres. Elles entrent directement en concurrence des formats de poche. Sur la Fnac et Amazon, on peut trouver de très nombreuses éditions payantes d’œuvres du domaine public, établies à partir du texte du projet Gutenberg. Il y a là une véritable jungle des éditions : on ne sait pas à quelle édition du texte on a à faire. C’était déjà le grief fait au livre de poche dans les années 1960.
La lecture à l’heure du numérique devient plus parcellaire. C’est une lecture vagabonde, qui va en navigant. Mais peut-on lire la Phénoménologie de l’espritsans lecture attentive ? Certains prétendent qu’on en revient à une lecture d’avant l’imprimé.
Les humanités numériques permettront-elles de résoudre des questions d’attribution, des questions de classification générique ?
La numérisation a permis des découvertes formidables. Sur Gallica, au milieu des nombreuses éditions où l’on s’égare, on trouve les manuscrits et cahiers de Proust. En les comparant avec la presse de l’époque, numérisée elle aussi, il a été possible de trouver les sources de certains passages qui ne l’étaient toujours pas.
Les humanités numériques ont également fait basculer la recherche lexicale de l’étude des mots les plus rares à celles des mots les plus fréquents, insignifiants.
Aujourd’hui apparaissent des livres enrichis/hybrides (vooks en anglais) agrémentés de sons, d’images, dans le but explicite de rendre le livre de Gutenberg moins ennuyeux. Les premiers livres publiés sous cette forme sont des livres pratiques, qui s’y prêtent très bien. On publie aussi aujourd’hui des romans numériques multimédia. La notion de texte linéaire est peut-être en voie d’extinction mais nous n’avons encore rien vu : aujourd’hui, nous n’avons sous les yeux qu’un simple reformatage des éditions papier.
Il faudrait une édition de Proust où l’on clique sur la sonate de Vinteuil pour écouter Franck ou Fauré. On accepte bien les notes de bas de page, pourquoi pas les vidéos ? Bientôt le lecteur ne voudra plus prendre le temps d’aller sur Wikipedia, puis de revenir à son texte.
Antoine Compagnon a ensuite présenté l’édition amplifiée de On the road : elle est enrichie d’itinéraires de voyages, de croquis et d’une carte des citations sur les lieux traversés, mais aussi d’enregistrements. Même chose pour une édition de The Waste land, publiée avec brouillons et manuscrits.
N’importe qui peut mettre ses textes sur Amazon, remarque Antoine Compagnon : on n’a plus besoin d’éditeurs pour faire les auteurs.
Se pose la question de l’imagination avec le livre enrichi : dans Manon Lescaut, on lit « elle avait l’air de l’amour même ». La lecture doit bouleverser et une lecture trop accompagnée bouleversera moins. Dans une expérience de la lecture, le moment le plus important est ce trouble, cette inquiétude que l’on éprouve en pénétrant dans un livre nouveau. Ouvrir Swann, c’est rester troublé pendant au moins une trentaine de pages.
La question du livre enrichi est déjà tranchée pour Antoine Compagnon, dans la mesure où nous avons déjà accepté les annotations du livre de poche. Les premiers poche étaient en texte intégral mais n’étaient pas annotés. Les éditions annotées aujourd’hui sont un moins pour la lecture, une perte de ce qui est le plus troublant dans l’expérience du lecteur.
A une question qui lui a été posée sur le livre enrichi Antoine Compagnon a répondu en convoquant Proust, chez qui le livre est amplifié par les paperolles qui distendent en permanence l’argumentation. La Recherche a été écrit par un auteur ayant une sorte d’ordinateur dans la tête ! Il existe chez Proust, comme chez Montaigne, un « théâtre de mémoire », qui génère cette façon de composer si particulière, que l’on peut retrouver chez plusieurs grands écrivains.  

Métamorphoses du texte

Le temps que je remette en forme les notes que j’ai pu prendre aujourd’hui au rendez-vous des Lettres, consacré cette année aux « métamorphoses de l’œuvre et de l’écriture à l’heure du numérique » (#pnflettres de son hashtag, quand ce *#@!!=§ de wifi fonctionne à la BnF), un passage de Cyrano de Bergerac – qui a été cité aujourd’hui, texte que j’aime particulièrement car il prophétise nos pratiques de lecture de plus en plus nomades :
« Mais il fut à peine sorti, que je mis à considérer attentivement mes livres, et leurs boîtes, c’est-à-dire leurs couvertures, qui me semblaient admirables pour leurs richesses ; l’une était taillée d’un seul diamant, sans comparaison plus brillant que les nôtres ; la seconde ne paraissait qu’une monstrueuse perle fendue de ce monde-là ; mais parce que je n’en ai point de leur imprimerie, je m’en vais expliquer la façon de ces deux volumes. 
A l’ouverture de la boîte, je trouvai dedans un je ne sais quoi de métal presque semblable à nos horloges, pleins de je ne sais quelques petits ressorts et de machines imperceptibles. C’est un livre à la vérité, mais c’est un livre miraculeux qui n’a ni feuillets ni caractères ; enfin c’est un livre où pour apprendre, les yeux sont inutiles ; on n’a besoin que des oreilles. Quand quelqu’un donc souhaite lire, il bande avec grande quantité de toutes sortes de petits nerfs cette machine, puis il tourne l’aiguille sur le chapitre qu’il désire écouter, et au même temps il en sort comme de la bouche d’un homme, ou d’un instrument de musique, tous les dons distincts et différents qui servent, entre les grands lunaires, à l’expression du langage. 
Lorsque j’ai depuis réfléchi sur cette miraculeuse invention de faire des livres, je ne m’étonne plus de voir que les jeunes hommes de ce pays-là possédaient plus de connaissance, à seize et dix-huit ans, que les barbes grises du nôtre ; car, sachant lire aussitôt que parler, ils ne sont jamais sans lecture ; à la chambre, à la promenade, en ville, en voyage, ils peuvent avoir dans la poche, ou pendus à la ceinture, une trentaine de ces livres dont ils n’ont qu’à bander un ressort pour en ouïr un chapitre seulement, ou bien plusieurs, s’ils sont en humeur d’écouter tout un livre : ainsi vous avez éternellement autour de vous tous les grands hommes, et morts et vivants, qui vous entretiennent de vive voix. Ce présent m’occupe plus d’une heure ; enfin, me les étant attachés en forme de pendants d’oreilles, je sortis pour me promener ; mais je ne fus plus plutôt au bout de la rue que je rencontrai une troupe assez nombreuse de personnes tristes. »

Ceci tuera cela

« Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice. »

Ces mots si célèbres de Victor Hugo me reviennent souvent lorsqu’il s’agit de déplorer la possible fin du livre tel que nous le connaissons. En faisant une recherche sur cette citation, j’ai découvert, ô hasard qui fait bien les choses, ce bel article de Christine Genin qui cite de longs passages du chapitre où Hugo développe cette idée.
Apprendre à lire

Lorsqu’un de nos supports de lecture, qu’il soit de pierre ou de papier, change sous nos yeux, nous avons peur. Peur, parce que nous craignons de ne pas avoir la même capacité à déchiffrer ce qui s’y substituera. Cette inquiétude de Frollo dans Notre-Dame de Paris a parfois été la mienne lorsque je me trouvais en Nouvelle-Calédonie. En brousse, sur les terres kanak, il n’y a pas de pierre. Quoique nous pensions lire désormais uniquement sur papier, nous lisons encore beaucoup sur la pierre. Qu’elle vous manque et l’on s’en rend compte. Je me souviens m’être souvent demandée comment lire l’histoire de cette île quand la pierre n’était pas là pour me la raconter. Les Kanak, eux, ne se posent pas la question. Ils lisent l’histoire de leur pays dans la nature : la végétation témoigne du temps qui passe et garde trace des aléas du climat. On peut la charger de sacré, comme on le fait par exemple avec les ignames. Même chose pour la terre qui porte les marques de l’histoire de l’homme ; dans l’Hexagone, on remarque encore dans mes montagnes les marques des cultures en terrasse, vestiges herbus de l’agriculture extensive.

Pour savoir lire finalement, il faut avoir appris. Appris à regarder des arbres centenaires ou à déceler les rides sur le flanc abrupt d’un sommet pyrénéen. Autant d’alphabets aussi évidents pour ceux qui les maîtrisent, aussi incompréhensibles aux autres.

Poétique des ruines
Claude Lorrain (1604/1605–1682) [Domaine public], via Wikimedia Commons
Il me semble qu’avec l’avènement de l’internet s’exprime cette crainte de ne plus savoir lire ce nouveau média mais émerge aussi une impression aiguë de notre finitude. Nous avions sacralisé le livre qui nous paraissait garant de permanence, comme d’autres avaient vénéré les pierres des cathédrales. Nous voilà démunis face à un monde qui change, Diderot l’écrivait déjà dans le Salon de 1767.
« Nous attachons nos regards sur les débris d’un arc de triomphe, d’un portique, d’une pyramide, d’un temple, d’un palais, et nous revenons sur nous-mêmes. Nous anticipons sur les ravages du temps, et notre imagination disperse sur la terre les édifices mêmes que nous habitons. A l’instant, la solitude et le silence règnent autour de nous. Nous restons seuls de toute une génération qui n’est plus ; et voilà la première ligne de la poétique des ruines. »
Vous tiquez à la lecture de mon billet ? Repartez donc voir le bandeau du blog des 451… Ce qui est perceptible en ce moment, dans tous les corps de métiers liés aux livres, c’est une inquiétante impression d’être partie prenante dans une mutation qui nous dépasse. Laissons la conclusion à Diderot.
« Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. Tout s’anéantit, tout périt, tout passe. Il n’y a que le monde qui reste ; il n’y a que le temps qui dure. Qu’il est vieux ce monde ! Je marche entre deux éternités. »
Être funambules
Nous avons appris à lire, on nous l’a transmis. Nous enseignerons nous-mêmes les supports de lecture qui seront ceux de notre époque. Est-ce que nous les présenterons comme aussi immuables que ceux qui les ont précédé ? Ne gagnerions-nous pas plutôt à signifier que nous aurons toujours à marcher « entre deux éternités », tels des funambules ?
Sur les ruines, voir les belles pages de ce site consacré à l’exposition Filiation (2003, au musée de Saint-Etienne).

En BUtinant #12/10

Envie ce mois-ci de sortir un peu des sentiers bibliothéconomiques, qui me semblent terriblement rebattus, pour aller fureter du côté des blogs de chercheurs.
  • Pourquoi lire des blogs de recherche ? 
Je lis de plus en plus fréquemment des articles parus dans les carnets de la plateforme Hypothèses.org, au point d’ailleurs de délaisser les blogs de bibliothèque. Pour quelle raison ? Parce qu’on y voit la recherche en train de se faire et qu’on peut ainsi sortir la tête de l’eau des tâches techniques qui nous coupent quelque peu de ceux avec qui nous devrions davantage travailler, les enseignants-chercheurs. Cet article, sur la démarche de Marie-Anne Paveau, professeure en sciences du langage à Paris 13, constitue une bonne introduction pour bibliothécaires pressés, avant qu’enthousiasmés ils ne plongent – du moins je l’espère, dans le grand bain des carnets !
  • Open access week
Je regrette de ne pas avoir réalisé de storify ou autre pour archiver l’ensemble des parutions de la semaine. Voir ce billet mais je pourrais en citer tant d’autres
  • Gérer la documentation n’est pas qu’un problème de bibliothécaire !
Dès lors qu’on discute avec des étudiants en master, on s’aperçoit que le problème du classement de ses archives et de ses références se pose à chacun d’entre eux. Dans le domaine de l’histoire, La Boîte à outils des historiens et Devenir historien-ne font un travail méthodologique formidable pour apprendre aux chercheurs en herbe à s’organiser.
Le problème n’est pas neuf, comme en témoigne cet article qui m’a fait découvrir une fameuse boîte à fiches !
  • A quoi ça sert ?
J’ai beaucoup aimé le billet d’humeur de Jean-Noël Lafargue à la question récurrente qu’on vous sert à plus soif dès lors que vous n’êtes pas étudiant/enseignant/chercheur/bibliothécaire en sciences dures. A quoi ça sert ? 
Rien de bibliothéconomique dans ce billet et je me demande si vous ne souriez pas davantage que d’habitude, non ?
« Older posts Newer posts »