Bibliothéconomie & Cie. - Dir. publ. et réd. en chef Cécile Arènes. - Paris : [s. n.], 2006 - ... .

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Ceci tuera cela

« Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice. »

Ces mots si célèbres de Victor Hugo me reviennent souvent lorsqu’il s’agit de déplorer la possible fin du livre tel que nous le connaissons. En faisant une recherche sur cette citation, j’ai découvert, ô hasard qui fait bien les choses, ce bel article de Christine Genin qui cite de longs passages du chapitre où Hugo développe cette idée.
Apprendre à lire

Lorsqu’un de nos supports de lecture, qu’il soit de pierre ou de papier, change sous nos yeux, nous avons peur. Peur, parce que nous craignons de ne pas avoir la même capacité à déchiffrer ce qui s’y substituera. Cette inquiétude de Frollo dans Notre-Dame de Paris a parfois été la mienne lorsque je me trouvais en Nouvelle-Calédonie. En brousse, sur les terres kanak, il n’y a pas de pierre. Quoique nous pensions lire désormais uniquement sur papier, nous lisons encore beaucoup sur la pierre. Qu’elle vous manque et l’on s’en rend compte. Je me souviens m’être souvent demandée comment lire l’histoire de cette île quand la pierre n’était pas là pour me la raconter. Les Kanak, eux, ne se posent pas la question. Ils lisent l’histoire de leur pays dans la nature : la végétation témoigne du temps qui passe et garde trace des aléas du climat. On peut la charger de sacré, comme on le fait par exemple avec les ignames. Même chose pour la terre qui porte les marques de l’histoire de l’homme ; dans l’Hexagone, on remarque encore dans mes montagnes les marques des cultures en terrasse, vestiges herbus de l’agriculture extensive.

Pour savoir lire finalement, il faut avoir appris. Appris à regarder des arbres centenaires ou à déceler les rides sur le flanc abrupt d’un sommet pyrénéen. Autant d’alphabets aussi évidents pour ceux qui les maîtrisent, aussi incompréhensibles aux autres.

Poétique des ruines
Claude Lorrain (1604/1605–1682) [Domaine public], via Wikimedia Commons
Il me semble qu’avec l’avènement de l’internet s’exprime cette crainte de ne plus savoir lire ce nouveau média mais émerge aussi une impression aiguë de notre finitude. Nous avions sacralisé le livre qui nous paraissait garant de permanence, comme d’autres avaient vénéré les pierres des cathédrales. Nous voilà démunis face à un monde qui change, Diderot l’écrivait déjà dans le Salon de 1767.
« Nous attachons nos regards sur les débris d’un arc de triomphe, d’un portique, d’une pyramide, d’un temple, d’un palais, et nous revenons sur nous-mêmes. Nous anticipons sur les ravages du temps, et notre imagination disperse sur la terre les édifices mêmes que nous habitons. A l’instant, la solitude et le silence règnent autour de nous. Nous restons seuls de toute une génération qui n’est plus ; et voilà la première ligne de la poétique des ruines. »
Vous tiquez à la lecture de mon billet ? Repartez donc voir le bandeau du blog des 451… Ce qui est perceptible en ce moment, dans tous les corps de métiers liés aux livres, c’est une inquiétante impression d’être partie prenante dans une mutation qui nous dépasse. Laissons la conclusion à Diderot.
« Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. Tout s’anéantit, tout périt, tout passe. Il n’y a que le monde qui reste ; il n’y a que le temps qui dure. Qu’il est vieux ce monde ! Je marche entre deux éternités. »
Être funambules
Nous avons appris à lire, on nous l’a transmis. Nous enseignerons nous-mêmes les supports de lecture qui seront ceux de notre époque. Est-ce que nous les présenterons comme aussi immuables que ceux qui les ont précédé ? Ne gagnerions-nous pas plutôt à signifier que nous aurons toujours à marcher « entre deux éternités », tels des funambules ?
Sur les ruines, voir les belles pages de ce site consacré à l’exposition Filiation (2003, au musée de Saint-Etienne).

En BUtinant #12/10

Envie ce mois-ci de sortir un peu des sentiers bibliothéconomiques, qui me semblent terriblement rebattus, pour aller fureter du côté des blogs de chercheurs.
  • Pourquoi lire des blogs de recherche ? 
Je lis de plus en plus fréquemment des articles parus dans les carnets de la plateforme Hypothèses.org, au point d’ailleurs de délaisser les blogs de bibliothèque. Pour quelle raison ? Parce qu’on y voit la recherche en train de se faire et qu’on peut ainsi sortir la tête de l’eau des tâches techniques qui nous coupent quelque peu de ceux avec qui nous devrions davantage travailler, les enseignants-chercheurs. Cet article, sur la démarche de Marie-Anne Paveau, professeure en sciences du langage à Paris 13, constitue une bonne introduction pour bibliothécaires pressés, avant qu’enthousiasmés ils ne plongent – du moins je l’espère, dans le grand bain des carnets !
  • Open access week
Je regrette de ne pas avoir réalisé de storify ou autre pour archiver l’ensemble des parutions de la semaine. Voir ce billet mais je pourrais en citer tant d’autres
  • Gérer la documentation n’est pas qu’un problème de bibliothécaire !
Dès lors qu’on discute avec des étudiants en master, on s’aperçoit que le problème du classement de ses archives et de ses références se pose à chacun d’entre eux. Dans le domaine de l’histoire, La Boîte à outils des historiens et Devenir historien-ne font un travail méthodologique formidable pour apprendre aux chercheurs en herbe à s’organiser.
Le problème n’est pas neuf, comme en témoigne cet article qui m’a fait découvrir une fameuse boîte à fiches !
  • A quoi ça sert ?
J’ai beaucoup aimé le billet d’humeur de Jean-Noël Lafargue à la question récurrente qu’on vous sert à plus soif dès lors que vous n’êtes pas étudiant/enseignant/chercheur/bibliothécaire en sciences dures. A quoi ça sert ? 
Rien de bibliothéconomique dans ce billet et je me demande si vous ne souriez pas davantage que d’habitude, non ?

Et pour reprendre une image chère à Michel de Certeau, se comporter comme un braconnier : en suivant le lièvre qu’on a déniché, s’arroger le droit de sauter par-dessus toutes les clôtures, les barrières disciplinaires : c’est ainsi que doit circuler un chercheur en sciences humaines et sociales…

« Quelques questions à Christian Jacob », par Emilien Ruiz in Devenir historien-ne (fragment de réponse à la question : Quelles sont, selon vous, les principales qualités requises pour devenir un bon historien ?)

C’est l’histoire d’un petit article…

Il y a de cela trois ans, je publiais dans Bibliothèque(s), la revue de l’ABF, un court article qui présentait Delicious. Publier un article pour l’ABF, ça signifie que vous ne touchez absolument rien et que vous gardez vos droits sur votre article dans la mesure où l’association ne fait pas signer de contrat (qu’ils disent).
Il y a quelques jours, Olivier Ertzscheid qu’on ne présente plus, publiait un billet sur les pratiques de l’INIST, via son service Refdoc. Refdoc propose à la vente des articles sans en informer les auteurs. Je découvrais dans les commentaires que, parmi les revues concernées, il y avait celles de l’ABF. Tapant mon nom pour vérifier, je me suis aperçue que mon petit article sur Delicious était vendu, oui vendu, 11 euros (30 euros avec option couleur !).
Vous imaginez, un article de vulgarisation, écrit par votre serviteure dont le travail consiste à faire du catalogage, un article  sur Delicious, datant de 2009, donc totalement périmé, vendu aussi cher par un service qui dit fournir des documents scientifiques ? cela alors qu’il est en ligne sur le site du Bibliolab depuis sa parution ?! J’ai demandé qu’il soit déréférencé de la base ce matin, via la pétition de SavoirsCom1.
Tout cela donnerait presque envie de repartir faire la notice parfaite et de ne plus rien écrire. Heureusement que le sursaut, #inistgate de son petit hashatag sur twitter, fait plaisir à voir.
***
Sur cette affaire, beaucoup de billets ont paru. En voici une sélection :
– la pétition : 
– pour commencer : 
MATHIS R. « Le scandale de l’INIST/CNRS ». In : Droits d’auteur.
– l’instigateur de l’ #inistgate :
ERTZSCHEID O. « Inique Inist : THIS MUST STOP ! ». In : affordance.info.
ERTZSCHEID O. « Lettre à l’Inist ». In : affordance.info.
ERTZSCHEID O. « : Lettre à l’Inist : des baffes et du buzz. ». In : affordance.info.
ERTZSCHEID O. « Supplique à Serge Haroche, prix nobel de physique 2012 ». In : affordance.info.
ERTZSCHEID O. « Quel est le comble de l’IST ? ». In : affordance.info.
– d’un point de vue juridique :
MAUREL L. « Refdoc/INIST : les dessous juridiques de l’affaire ». In : :: S.I.Lex ::

– plus technique :

CAVALIÉ E. « INIST : Et maintenant, on fait quoi ? ». In : Bibliothèques [reloaded]
– à l’étranger :
LEBERT M. « Refdoc is reselling our articles at a huge price without our consent ».

– Et encore d’autres que j’avais manqués, faute d’avoir ouvert mon agrégateur aujourd’hui !

DUBOIS P. « Un « publiant » va intenter un procès ». In Histoires d’universités.
PELNIER A. « #InistGate, la suite ». In Lettre du cadre.

On m’a déjà dit qu’il était déraisonnable de donner des rêves d’art, de littérature et de philosophie à des gens qui finiront par trier des papiers dans une administration. Je trouve cette réflexion assez terrifiante : il faudrait limiter ses rêves pour les accorder à une existence frustrante ? Qu’est-ce qu’il reste ?

A quoi sert un étudiant en arts plastiques ?”, Le dernier des blogs | Jean-Noël Lafargue

En BUtinant #12/9

Se débattant entre les errements de twitter et d’ifttt et une santé un peu flottante, votre serviteure (servitrice ?) a eu bien du mal à faire correctement de la veille ce mois-ci. Qu’importe, tant qu’il me restera dix doigts pour taper, vous ne repartirez pas d’ici sans lecture !
Si vous n’en lisez qu’un…
… c’est obligatoirement ce billet de Lionel Maurel, qui concerne le lancement de SavoirsCom1 ! Je vous renvoie en particulier vers ce billet parce que Lionel y explique très bien le cheminement, avec son lot de déceptions, qui l’a conduit à co-fonder ce collectif avec Silvère Mercier.
Et finalement, vous n’en lirez qu’un mais je suis sure qu’ensuite vous adhèrerez au manifeste de SavoirsCom1 !

Lancement de SavoirsCom1

Lancement ce début de semaine, à l’initiative de Lionel Maurel et Silvère Mercier, du collectif SavoirsCom1, dont voici un extrait du manifeste :
« L’objectif est le suivant : protéger à travers le temps une ressource informationnelle et les règles établies par la communauté qui la partage. Les communs sont sans cesse menacés par des logiques d’enclosures, c’est à dire d’appropriation indue, hors de la communauté d’origine. Créer une enclosure, c’est refermer par des moyens économiques (ex. : modèles verticaux intégrés), juridiques (déséquilibre du droit de la propriété intellectuelle), ou techniques (ex.: DRM) ce qui a été créé selon un principe d’ouverture. C’est aussi couper un bien informationnel de la communauté qui en a défini les règles de gestion. C’est contre ces enclosures qu’il nous faut nous élever, en ayant à l’esprit que les enclosures peuvent aussi bien être le fait du monde marchand que du monde non marchand. Le principe est le suivant : ce qui est issu des communs doit demeurer dans les communs à moins que les commoners n’en décident autrement.
Les politiques publiques, en particulier celles liées à l’information et à la documentation, doivent garantir le respect des principes suivants pour permettre l’existence et le développement des biens communs informationnels. »

Au moment où le « copyright madness » fait toujours plus de ravages, vous imaginez bien que j’ai rejoint le collectif dans la minute ! Et vous ?

Le logo SavoirsCom1 est de Geoffrey Dorne.

La bibliothèque rend-elle pirate ?

Pirate Flag
Pirate flag, par Scott Vandehey. CC : BY-NC-SA. Flickr
En lisant l’excellent Deakialli documental, j’ai découvert un article de Catuxa Seoane García, « Soy pirata porque la biblioteca me ha hecho así« , qui m’a semblé pouvoir s’appliquer parfaitement au contexte français.
Catuxa explique avoir dû partir une semaine coupée de toute connexion, sans pouvoir trop remplir sa valise. Elle a bien sûr emporté son ipad chargé de lectures et, en bonne bibliothécaire, elle s’est rendue à la bibliothèque pour pouvoir télécharger des ebooks sur sa liseuse. Voici les problèmes qu’elle souligne suite à cette expérience (c’est moi qui traduis).
« Problème : l’offre de contenus électroniques dans les bibliothèques de notre pays reste encore anecdotique, symbolique et tape-à-l’oeil […]. Pour autant que tu t’approches avec ta liseuse de la bibliothèque la plus proche (à supposer qu’elle compte dans ses fonds des livres électroniques) et que tu te contentes de charger sur ton reader le matériel qu’ils ont (celui qu’ils ont, pas celui que tu cherches), il te reste seulement deux possibilités :
– faire tes fonds de poches pour acheter à tes frais le livre électronique que tu cherches (avec de gros problèmes pour le prêter comme bon te semble après l’avoir lu, comme tu le ferais avec n’importe quel ami intéressé par la lecture de ce livre dont tout le monde parle),
– faire une simple recherche par titre/titres dans google et en moins de 5 minutes avoir à portée de main tous les livres que tu étais en train de chercher, en texte intégral.
En résumé : être pirate dans le domaine culturel en Espagne est beaucoup plus facile et rapide que de se maintenir dans la légalité… Pour ne pas parler des nombreux usagers que les bibliothèques sont en train de perdre parce qu’elles ne peuvent pas (et non parce qu’elles ne savent pas) satisfaire leurs demandes… »
Et Catuxa de citer le cas des ouvrages réclamés à corps et à cris par les usagers, que la bibliothèque ne possède pas ou qui sont toujours empruntés, comme le fameux Fifty shades of Grey en ce moment …

« La réalité est que 99% des lectrices repartent chez elles sans le livre, toujours en prêt dans les bibliothèques. Un fort pourcentage décide de le chercher en ligne et après son téléchargement facile et rapide et découvre un monde nouveau… Beaucoup vont penser “je ne vais plus à la bibliothèque, maintenant que j’ai une liseuse c’est plus facile et rapide de télécharger les livres en ligne…” « 

Elle soulève enfin ces deux incongruités : d’une part l’usager doit se déplacer même pour emprunter un livre électronique, d’autre part ledit livre, pourtant dématérialisé, peut être déjà emprunté. J’ajouterai, concernant ce dernier point, que cette question de l’indisponibilité du livre électronique est incompréhensible au non-bibliothécaire.
Catuxa conclut que les usagers ne reviendront pas, à moins que les bibliothèques offrent une valeur ajoutée. Sans quoi les établissements de lecture publique auront peut-être leur part de responsabilité dans l’augmentation des téléchargements illégaux de livres électroniques…

« Aux bibliothèques, écrit-elle, de fidéliser et d’attirer de nouveaux usagers avec de nouveaux besoins… La difficulté est maintenant de nous mettre à travailler à cela. » Pour ma part, j’espère seulement qu’il n’est pas déjà trop tard…


NB : c’est parce que Catuxa Seoane García avait mis son texte sous Creative commons que j’ai pu en traduire la majeure partie. Chers collègues, n’oubliez pas les CC dès que vous publiez !
Merci à MJS pour sa relecture des passages traduits 🙂

« Avant, il y avait la tomate »

Je profite parfois, comme beaucoup de collègues j’imagine, des plages de service public pour faire de la veille. Entre deux articles, j’ai jeté un oeil à twitter que j’ai vu bruisser de #451. Evidemment, vous me connaissez, j’ai cliqué illico sur le lien.
« Avant, il y avait la tomate. »
Un énième appel pour préserver le livre papier est paru dans le Monde. Jusque-là, rien de nouveau sous le soleil. Les signataires ont créé un blog, cherchez l’erreur, pour diffuser l’appel et signaler la tenue d’une rencontre sur le sujet.
Relisant ce texte, je tombe littéralement en arrêt devant la note de bas de page (3), que je ne me peux m’empêcher de citer ici :

« (3) Un ami paysan nous racontait  : «  Avant, il y avait la tomate. Puis, ils ont fabriqué la tomate de merde. Et au lieu d’appeler la tomate de merde “tomate de merde”, ils l’ont appelé “tomate”,  tandis que la tomate, celle qui avait un goût de tomate et qui était cultivée en tant que telle, est devenue “tomate bio”. À partir de là, c’était foutu.  » Aussi nous refusons d’emblée le terme de «  livre numérique  » :  un fichier de données informatiques téléchargées sur une tablette ne sera jamais un livre. »

tomates
tomates. Jinax. CC : BY. Flickr
Après un premier moment d’incrédulité, après avoir été tentée de récrire le texte en remplaçant « livre » par « tomate » (« Nous avons commencé à nous réunir depuis quelque temps pour discuter ensemble de la situation présente et à venir de la tomate et de ses métiers. (…) L’industrie de la tomate vit en grande partie grâce à la précarité qu’acceptent nombre de ses travailleurs, par nécessité, passion ou engagement politique.« ), je n’arrivais pas à penser à autre chose qu’à cette inénarrable comparaison.

Sortant du métro pour aller récupérer mon panier de légumes-bio-garantis-de-la-région, donc censé réduire mon empreinte carbone et favoriser l’agriculture locale – ce que je précise pour n’être pas taxée d’ennemie de la tomate bio, sortant du métro, donc, je ne cessais de repenser à la tomate ; pire, j’avais un problème avec la tomate.

Market Grabs
Market grabs. banlon1964. CC : BY-NC-ND. Flickr

Je ne suis pas experte en histoire de cette chère solanum lycopersicum mais je crois bien me souvenir que les premières variétés introduites en Europe n’étaient pas rouges, mais jaunes. L’italien en a gardé la trace, qui la nomme pomodoro. De fait, l’anecdote de la note (3) me paraît bancale. La tomate dont nos grands-parents nous parlent, celle d’avant les OGM, est une tomate rouge : elle a déjà été modifiée. Par conséquent, à partir de quand a-t-on été soi-disant « foutu » ? Pour rester dans la comparaison horticole, qui n’a pas vu ses aïeux greffer des arbres fruitiers ?

Certes, la « tomate de merde », aussi insipide que remplie de graines, existe et personne ne va le nier. Pour autant, est-elle nécessairement non biologique ? Voilà un autre aspect de la note (3) qui me chiffonne : les tomates de mon panier de légumes-bio-garantis-de-la-région sont souvent moins savoureuses que les tomates traitées achetées par mon père à son petit marché. Le bio, c’est une garantie de ne pas avoir de traitements, un peu comme le papier recyclé dans le livre, mais ça ne vous garantit pas la qualité. Peut-être publie-t-on du Guillaume Musso sur papier recyclé, qui sait ?

Bref, la « vraie » tomate est davantage une idée de tomate qu’une réalité. Quant à savoir si l’existence de la tomate précède son essence, je vous laisse juge car il me faut maintenant vous entretenir des vaches.

Et les vraies vaches !

Quand j’étais enfant, mon grand cousin s’étonnait toujours de ne pas voir de vraies vaches. Pour lui, les seuls bovidés véritables étaient les vaches normandes qu’il avait vu dans les reproductions des manuels scolaires et des livres de jeunesse. Quand nous étions en vacances et que nous faisions du vélo sur les petits chemins lotois, il s’étonnait de ces ersatz de vaches que nous croisions, dont la robe n’était pas noire et blanche. Pour ma part, j’étais terrifiée par ces énormes salers, aux cornes en forme de lyre.

Salers à Laqueuille
Salers à Laqueuille. Ecololo. CC : BY-NC-SA. Flickr

Toujours en matière de vaches,  peut-être qu’un jour on m’expliquera pourquoi celles que ma mère appelle « les vaches grises de mon pays », à savoir l’Ariège, sont en réalité des gasconnes alors qu’en Gascogne, ce sont précisément des blondes d’Aquitaine qu’on élève ! Voilà qui constitue d’ailleurs une vraie question pour un SRV, mais je m’égare.

Race Gasconne (taureau)
Race gasconne. Le Nau. CC : BY-NC-SA. Flickr

Vous l’aurez compris, cette fois je n’oserai même pas vous parler de l’idée de la vache et de la réalité de la vache tant la situation est inextricable, tant du point géographique que du point de vue du pelage… Une « vraie » vache, c’est un idéal rêvé sur un imagier d’enfant.

Quant à savoir si « un fichier de données informatiques téléchargées sur une tablette » est un livre, ma foi, pourquoi pas ? Est-ce qu’une tomate blanche a beaucoup à voir avec une  cornue des Andes ? Finalement, papier ou numérique, il y a fort à parier qu’on verra toujours se côtoyer du Jean Echenoz et du Florian Zeller. Le « vrai » livre, comme la vraie vache et LA tomate, reste l’héritier d’un imaginaire. N’oublions pas qu’en leurs temps les livres de poche, puis les livres à 1 ou 2 euros, que personne ne songeraient plus aujourd’hui à décrier, ont subi des attaques du même acabit.

C’est alors que Toinet revint…

J’en étais là de mes réflexions sur la tomate, les vaches et les livres lorsque j’ai découvert cet article signalant l’achat de Flammarion par Gallimard. Où l’on apprend que Google et Apple n’ont qu’à bien se tenir, désormais ! Trève de plaisanterie, évidemment que le retour dans l’Hexagone d’une aussi vieille maison que Marpon-Flammarion peut susciter un plaisir un tantinet chauvin. Cela dit, quelques passages de l’entretien avec Antoine Gallimard m’ont mise mal à l’aise.

Tremblez, internautes !

« Votre présence à la tête de ce groupe, le 3e français, le 31e mondial, a-t-elle déjà suscité des jalousies?Pas pour l’instant. On pense plutôt que je suis courageux d’investir dans le marché du livre, remis en question et par Amazon, qui promeut l’autoédition, et par les internautes, qui poussent à la gratuité. »

Méchants que nous sommes, nous, internautes qui voudrions la gratuité ! Il se trouve qu’avant d’être internaute, je suis d’abord lectrice. Multi-supports, si l’on y tient. Il se trouve surtout que je lis plus en un mois que je ne peux me permettre de dépenser. Alors oui, si je peux trouver de la lecture gratuite, j’en suis ravie. Que ce soit en bibliothèque ou par des moyens que la déontologie professionnelle m’interdit de citer ici. Il me semble finalement que ce sont moins les internautes qui poussent à la gratuité que les lecteurs qui, crise oblige, n’ont pas tous les moyens de lire à leur faim.

Et Colomb franchit l’Atlantique

« Les Européens sont-ils, selon vous, plus attachés au texte imprimé que les Américains?Oui, on voit bien qu’avec leurs librairies, leurs universités, leurs ouvrages très bien édités, les Européens, et notamment les Français, restent très attachés au livre. Les Américains ont plus une conception de livre jetable et moins la notion de bibliothèque, du fait qu’ils déménagent, qu’ils n’ont pas eu cette culture des ancêtres à travers leurs propres bibliothèques. En France, la résistance au tout-numérique est beaucoup plus forte qu’aux Etats-Unis. »

Avec la tomate, les vaches, la gratuité, j’avais sombré dans une logorrhée bloguesque mais j’étais restée relativement calme. En lisant ces lignes-là, j’ai ressenti la même colère sourde que lorsqu’on me fait remarquer dans les Pyrénées que moi, quarteronne espagnole, je ne suis pas tout à fait de là, alors que mon grand-père s’y est installé il y a plus de soixante-dix ans.
Rappelons juste que la bibliothèque du Congrès est la plus importante bibliothèque du monde et qu’elle a déjà gaillardement plus de deux cents printemps. En matière de « culture des ancêtres », deux cents ans sont-ils suffisants ?! Et que dire d’Harvard qui possède la plus importante bibliothèque universitaire au monde…
Quant à la « notion de bibliothèque », inutile de traverser l’Atlantique pour ne pas la connaître, il suffit d’avoir grandi dans un environnement défavorisé au coeur même de la vieille Europe : « Si vous n’êtes pas issu de classe moyenne, vos étagères sont vides », rappelait Zadie Smith il y a peu pour défendre les bibliothèques publiques britanniques.

Où l’on songe à la reconversion…

C’est à s’interroger sur la pertinence de travailler encore dans les métiers du livre texte, des lectures pareilles. Le cousin (pas celui des vraies vaches, un autre) qui élève des vaches gasconnes en Ariège a toujours besoin de monde ; l’on pourrait devenir vachère, mener le troupeau à l’estive et emporter de la lecture sur tous les supports possibles, sans plus jamais se préoccuper de ces exaspérantes querelles des anciens et des modernes.

Pâturage alpestre
Pâturage alpestre. Mathieu Péborde. CC :  BY-NC-SA. Flickr

Pour une réponse sérieuse et argumentée à l’Appel des 451, on se reportera à l’analyse aussi sévère que juste de Rémi Mathis.

Arbradoc, se former à la recherche documentaire

La question de la formation à la recherche documentaire prend peu à peu de l’importance en France. Il est moins rare aujourd’hui de voir des SCD qui assurent des modules de formation et leur évaluation en licence 1. Malheureusement, ce n’est toujours pas généralisé et, trop souvent, les modules de méthodologie du travail universitaire, dans lesquels s’insère la formation à la recherche documentaire, sont les parents pauvres de la formation en licence.
Concernant l’autoformation, jusqu’à présent, on trouvait davantage de plateformes de l’autre côté de l’Atlantique que chez nous. Cependant, depuis le mois de février, les étudiants de Paris 8 ont la chance de pouvoir travailler sur Arbradoc, la nouvelle plateforme d’autoformation à la recherche documentaire de l’unviersité.
Et c’est rudement bien fait ! Trois rubriques sont proposés :
– un parcours qui retrace les différentes étapes de la recherche,
– un parcours qui liste les différents besoins du chercheur en herbe,
– un catalogue Manufrance des différents outils de recherche.
J’aime beaucoup la sobriété du site et la clarté de chaque rubrique et il y a de fortes chances pour que je recommande aux étudiants de L1 d’aller y traîner leurs souris !
Pour en savoir plus sur la création d’Arbradoc, on peut consulter cette synthèse d’un atelier Urfist de 2009, consacré à la question.
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