Plaidoyer pour les liens hypertextes et pour les autres outils du web 2.0

Je découvre, comme beaucoup, l’affaire qui agite la communauté des blogueurs et des hébergeurs férus de web 2.0. Elle semble, curieusement, n’avoir créé que des vaguelettes dans la biblioblogosphère, ce qui ne laisse pas de m’étonner. Pourtant, ce qui vient de se passer me semble remettre en question les pratiques qui sont les nôtres.

Souhaitant protéger sa vie privée, un acteur français a déposé plainte contre un certain nombre de sites qui avaient fait état d’une prétendue relation du plaignant. Dans les sites mis en cause s’en trouvait précisément un qui avait fait seulement un lien vers un blog relatant l’information. Ce site s’est trouvé précisément condamné pour ce lien, le tribunal considérant que les liens l’engageaient comme éditeur. C’est la deuxième fois qu’un jugement en ce sens est rendu, à savoir que cela nous rend responsable, en plus de nos propres billets, de TOUS les liens que nous publions. Selon un avocat spécialisé dans les TIC, cela équivaudrait à condamner un kiosquier pour chaque magazine people impliqué dans une dans une affaire de ce genre. Pour moi, cela revient à condamner un auteur pour une référence bibliographique !

En tant que professionnels de l’information, je pense qu’il va nous falloir très vite nous pencher sur le sujet car nos tutelles vont peut-être devenir plus frileuses à nous laisser utiliser ces outils après un tel événement.

Comme je ne savais pas trop quelle forme employer pour évoquer un tel sujet, j’ai rédigé une lettre destinée à un certain A., sorte de Candide du web 2.0. La voici.

Cher A.,

Vous m’avez fait part de votre préoccupation à l’encontre de ces blogueurs qui ont, dites-vous, pris les travers des magazines people. Vous défendez le respect de la vie privée de ces bonnes gens, cela je le comprends aisément. Permettez-moi de vous parler un peu du web 2.0 et des pratiques qui y ont cours afin que cette querelle entre vous et moi trouve, peut-être, à s’apaiser. Le web existe depuis seulement une quinzaine d’années et le web 2.0, lui, n’a pas plus de cinq ans, si mes calculs sont exacts. Nous sommes donc, nous autres blogueurs, des pionniers en la matière et nous nous mouvons dans cet espace en tâtonnant, car beaucoup de choses nous y sont encore inconnues. De fait, nous avons souvent la fraîcheur de l’adolescence dans nos pratiques mais nous tombons aussi dans les défauts de la jeunesse, à savoir que nous avons toujours envie de repousser nos limites. Dans cette envie d’aller toujours plus loin, certains d’entre nous se brûlent les ailes, d’aucuns paient les erreurs de beaucoup. C’est, je crois, ce qui se produit dans l’affaire de laquelle vous m’avez entretenue. En effet, tenir un blog équivaut à assumer la responsabilité d’une publication, avec toutes les conséquences que cela engage. Cela revient à connaître des rudiments de droit que, pour beaucoup, nous ignorions totalement. En effet, nous nous sommes souvent lancés seuls et, grisés par les possibilités toujours démultipliées de l’informatique, nous avons souvent oublié de nous préoccuper de la licéité de nos actes. Qui n’a jamais cité de marque, ni reproduit d’image ? Vous le voyez, cher A., je ne nie pas les erreurs que nous avons pu commettre. Toutefois, je pense que les blogueurs de demain sauront tirer les leçons de nos méprises et qu’ils seront sans doute moins futiles que nous l’avons été. Pour autant, je rêverais d’une régulation, j’allais dire, à l’amiable. Vous ne le savez peut-être pas mais ce qui anime les passionnés du web 2.0 est une entreprise collaborative. Les outils libres, la possibilité de découvrir toujours plus grâce à la générosité des autres blogueurs nous permet d’avancer et de pouvoir faire bénéficier de nos trouvailles à l’ensemble de la communauté. Si d’aventure vous vous décidiez à être des nôtres et à tenir un blog, vous seriez étonnés de la disponibilité des blogueurs pour vous accompagner dans vos balbutiements. Outre les mails, nous utilisons aussi pour ce faire des liens hypertextes et des flux RSS. Ils nous permettent de renvoyer vers des articles qui nous semblent intéressants et nous donnent la possibilité de suivre les autres blogs. C’est un de ces deux moyens qui a été utilisé pour relayer la rumeur qui fut l’objet de ladite plainte pour atteinte à la vie privée. Je voudrais, si vous me le permettez, vous expliquer plus avant le fonctionnement de ces outils. Les liens, comme les flux, nous permettent de dresser un panorama de sites, de blogs vers lesquels nous souhaitons aiguiller nos lecteurs. Le problème qui se pose à nous est d’assurer la gestion a posteriori de ces panneaux indicateurs. En ce qui me concerne, je fais mention sur mon blog de ce que l’on nomme depuis peu un « univers ». Cet outil me permet de présenter une centaine de liens et de flux confondus. Je les ai recensés pour leur pertinence mais je ne suis pas, malheureusement, à l’abri qu’un jour, l’un d’eux franchisse la ligne jaune. Ce jour-là, il est possible que je sois partie, loin de mon ordinateur, et que je ne sois pas en mesure de savoir que l’un des liens que je relaie est devenu illicite. De plus, il en va de son univers de fils RSS comme d’un journal, on n’y lit pas tout tous les jours. Cette question des liens me soucie, vous le voyez, beaucoup. Car, travaillant dans une bibliothèque, je ne fais pas autre chose que d’agréger du contenu, que de créer des connexions donnant accès à de l’information. Cependant, dans mon établissement où se trouvent conservés des centaines de milliers de documents, je crois pouvoir vous assurer que personne n’a jamais parcouru l’intégralité de leur contenu. Or, il arrive que, parfois, l’un de ces documents soit l’objet d’une plainte et condamné. Cela ne se produit que très rarement, rassurez-vous. Dans ce cas, nous sommes simplement tenus de retirer de nos collections le document concerné. J’aimerais tant qu’il en soit de même avec les liens sur la toile. Si les supports ne sont pas les mêmes, il ne s’agit pourtant que de vecteurs de connaissance et d’information. Imaginez un instant, cher A., que mon établissement risque la condamnation pour tout document risquant de devenir illicite, je puis vous affirmer que ma tutelle ne prendrait plus aucun risque et m’empêcherait de passer toute commande ! En matière de web 2.0, les tutelles s’appellent des hébergeurs. Les rendre responsables des liens et des flux qui sont mis en ligne, c’est mettre en péril leur métier et, par là, toute notre activité. Cher A., croyez bien que je vous soutiens dans votre obstination à défendre le respect de la vie privée. Ce n’est pas moi, qui me dissimule derrière un pseudonyme pour préserver la mienne, qui vous le reprocherai. Toutefois, je vous supplie, comprenez que notre entreprise collaborative est aujourd’hui en péril. Selon moi, il n’y a de coupables dans cette affaire que vous m’avez rapportée que les auteurs de la rumeur. Voilà ce que je voulais vous préciser de cette affaire qui vous avait grandement préoccupé. J’espère que vous serez désormais plus compréhensif vis-à-vis de nous et croyez bien que je me ferai de nouveau votre cicérone dans la blogosphère si vous le désirez.

Vous le remarquez, j’ai fait le choix dans ce billet de ne citer aucun des protagonistes nommément. Le seul lien que je me suis autorisé est en direction du blog de Maître Eolas, qui ne l’a pas fait non plus. Quoi que vous puissiez penser de mon choix, je vous demande de le respecter et de ne point citer de personnes dans vos commentaires, sans quoi ils seront modérés (cela sans aucune pitié !).

6 Commentaires

  1. Le billet d’Eolas est extrêmement instructif. Si je ne l’avais pas lu, j’aurais pensé que cette affaire posait problème au web 2.0. Mais comme il nous le rappelle : « la partie défenderesse opère un choix éditorial, de même qu’en agençant différentes rubriques telle que celle intitulée “People” et en titrant en gros caractères […], décidant seule des modalités d’organisation et de présentation du site. »
    Bref, il ne s’agit pas d’un pauvre blogueur qui n’a pas remarqué qu’un contenu litigieux était apparu dans un de ses flux, mais d’un site commercial qui a délibérément mis en avant un contenu qu’il savait litigieux. Il n’y a donc vraiment pas à s’inquiéter de cette affaire.

  2. @ B& C : damned ! tu as tout révélé !

    @ Rincevent : vous avez mal lu son billet ! Ce que vous citez ne sont pas les mots d’Eolas mais les mots du président. Eolas, lui, a fait le commentaire suivant : « Un choix délibéré ? Voici sans doute le point le plus sujet à controverse. Parler de décision délibérée pour un lien dans un Digg-Like me paraît osé. »

  3. Pourtant le site a bel et bien décidé de mettre en avant l’article incriminé. Ce que la société semble avoir reconnu, si j’en crois les dires d’Eolas. Je ne suis donc pas convaincu que cette ordonnance soit réellement une menace. Ceci-dit, je ne suis pas juriste et ne connais pas non plus le fonctionnement des digg-like. Je reste donc circonspect.

  4. @Liberlibri : suis moins pessimiste que toi. Donner un lien qui renvoie vers une info de type Closer = un procès en diffamation comme quand Gala dit que A trompe B et que c’est [pas] vrai mais que personne… La nature même des infos qui circulent sur ces sites appelle la même sanction.
    Pour les bibliothèques et centres documentaires, on est quand même dans un univers d’info, de renseignement un peu vérifié, et, en tout cas qui pointe vers des sources vérifiées, qualifiées (enfin, j’espère que …

  5. Je pensais plutôt à des cas où l’un de nous évoque un fournisseur de services en des termes dépréciatifs. Il peut tout à fait attaquer l’auteur et tous les gens qui ont relayé pour avoir cité la marque.
    Mais si c’est toi qui dis de ne pas s’inquiéter outre mesure, je m’en vais dormir sur mes deux oreilles 🙂

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