Et pour reprendre une image chère à Michel de Certeau, se comporter comme un braconnier : en suivant le lièvre qu’on a déniché, s’arroger le droit de sauter par-dessus toutes les clôtures, les barrières disciplinaires : c’est ainsi que doit circuler un chercheur en sciences humaines et sociales…
Auteur/autrice : Cécile Arènes (Page 7 of 42)
– plus technique :
– Et encore d’autres que j’avais manqués, faute d’avoir ouvert mon agrégateur aujourd’hui !
On m’a déjà dit qu’il était déraisonnable de donner des rêves d’art, de littérature et de philosophie à des gens qui finiront par trier des papiers dans une administration. Je trouve cette réflexion assez terrifiante : il faudrait limiter ses rêves pour les accorder à une existence frustrante ? Qu’est-ce qu’il reste ?
Lancement ce début de semaine, à l’initiative de Lionel Maurel et Silvère Mercier, du collectif SavoirsCom1, dont voici un extrait du manifeste :« L’objectif est le suivant : protéger à travers le temps une ressource informationnelle et les règles établies par la communauté qui la partage. Les communs sont sans cesse menacés par des logiques d’enclosures, c’est à dire d’appropriation indue, hors de la communauté d’origine. Créer une enclosure, c’est refermer par des moyens économiques (ex. : modèles verticaux intégrés), juridiques (déséquilibre du droit de la propriété intellectuelle), ou techniques (ex.: DRM) ce qui a été créé selon un principe d’ouverture. C’est aussi couper un bien informationnel de la communauté qui en a défini les règles de gestion. C’est contre ces enclosures qu’il nous faut nous élever, en ayant à l’esprit que les enclosures peuvent aussi bien être le fait du monde marchand que du monde non marchand. Le principe est le suivant : ce qui est issu des communs doit demeurer dans les communs à moins que les commoners n’en décident autrement.Les politiques publiques, en particulier celles liées à l’information et à la documentation, doivent garantir le respect des principes suivants pour permettre l’existence et le développement des biens communs informationnels. »
Au moment où le « copyright madness » fait toujours plus de ravages, vous imaginez bien que j’ai rejoint le collectif dans la minute ! Et vous ?
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Le logo SavoirsCom1 est de Geoffrey Dorne.
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| Pirate flag, par Scott Vandehey. CC : BY-NC-SA. Flickr |
« Problème : l’offre de contenus électroniques dans les bibliothèques de notre pays reste encore anecdotique, symbolique et tape-à-l’oeil […]. Pour autant que tu t’approches avec ta liseuse de la bibliothèque la plus proche (à supposer qu’elle compte dans ses fonds des livres électroniques) et que tu te contentes de charger sur ton reader le matériel qu’ils ont (celui qu’ils ont, pas celui que tu cherches), il te reste seulement deux possibilités :– faire tes fonds de poches pour acheter à tes frais le livre électronique que tu cherches (avec de gros problèmes pour le prêter comme bon te semble après l’avoir lu, comme tu le ferais avec n’importe quel ami intéressé par la lecture de ce livre dont tout le monde parle),– faire une simple recherche par titre/titres dans google et en moins de 5 minutes avoir à portée de main tous les livres que tu étais en train de chercher, en texte intégral.En résumé : être pirate dans le domaine culturel en Espagne est beaucoup plus facile et rapide que de se maintenir dans la légalité… Pour ne pas parler des nombreux usagers que les bibliothèques sont en train de perdre parce qu’elles ne peuvent pas (et non parce qu’elles ne savent pas) satisfaire leurs demandes… »
« La réalité est que 99% des lectrices repartent chez elles sans le livre, toujours en prêt dans les bibliothèques. Un fort pourcentage décide de le chercher en ligne et après son téléchargement facile et rapide et découvre un monde nouveau… Beaucoup vont penser “je ne vais plus à la bibliothèque, maintenant que j’ai une liseuse c’est plus facile et rapide de télécharger les livres en ligne…” «
« Aux bibliothèques, écrit-elle, de fidéliser et d’attirer de nouveaux usagers avec de nouveaux besoins… La difficulté est maintenant de nous mettre à travailler à cela. » Pour ma part, j’espère seulement qu’il n’est pas déjà trop tard…
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NB : c’est parce que Catuxa Seoane García avait mis son texte sous Creative commons que j’ai pu en traduire la majeure partie. Chers collègues, n’oubliez pas les CC dès que vous publiez !
Merci à MJS pour sa relecture des passages traduits 🙂
« (3) Un ami paysan nous racontait : « Avant, il y avait la tomate. Puis, ils ont fabriqué la tomate de merde. Et au lieu d’appeler la tomate de merde “tomate de merde”, ils l’ont appelé “tomate”, tandis que la tomate, celle qui avait un goût de tomate et qui était cultivée en tant que telle, est devenue “tomate bio”. À partir de là, c’était foutu. » Aussi nous refusons d’emblée le terme de « livre numérique » : un fichier de données informatiques téléchargées sur une tablette ne sera jamais un livre. »
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| tomates. Jinax. CC : BY. Flickr |
Sortant du métro pour aller récupérer mon panier de légumes-bio-garantis-de-la-région, donc censé réduire mon empreinte carbone et favoriser l’agriculture locale – ce que je précise pour n’être pas taxée d’ennemie de la tomate bio, sortant du métro, donc, je ne cessais de repenser à la tomate ; pire, j’avais un problème avec la tomate.
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| Market grabs. banlon1964. CC : BY-NC-ND. Flickr |
Je ne suis pas experte en histoire de cette chère solanum lycopersicum mais je crois bien me souvenir que les premières variétés introduites en Europe n’étaient pas rouges, mais jaunes. L’italien en a gardé la trace, qui la nomme pomodoro. De fait, l’anecdote de la note (3) me paraît bancale. La tomate dont nos grands-parents nous parlent, celle d’avant les OGM, est une tomate rouge : elle a déjà été modifiée. Par conséquent, à partir de quand a-t-on été soi-disant « foutu » ? Pour rester dans la comparaison horticole, qui n’a pas vu ses aïeux greffer des arbres fruitiers ?
Certes, la « tomate de merde », aussi insipide que remplie de graines, existe et personne ne va le nier. Pour autant, est-elle nécessairement non biologique ? Voilà un autre aspect de la note (3) qui me chiffonne : les tomates de mon panier de légumes-bio-garantis-de-la-région sont souvent moins savoureuses que les tomates traitées achetées par mon père à son petit marché. Le bio, c’est une garantie de ne pas avoir de traitements, un peu comme le papier recyclé dans le livre, mais ça ne vous garantit pas la qualité. Peut-être publie-t-on du Guillaume Musso sur papier recyclé, qui sait ?
Bref, la « vraie » tomate est davantage une idée de tomate qu’une réalité. Quant à savoir si l’existence de la tomate précède son essence, je vous laisse juge car il me faut maintenant vous entretenir des vaches.
Et les vraies vaches !
Quand j’étais enfant, mon grand cousin s’étonnait toujours de ne pas voir de vraies vaches. Pour lui, les seuls bovidés véritables étaient les vaches normandes qu’il avait vu dans les reproductions des manuels scolaires et des livres de jeunesse. Quand nous étions en vacances et que nous faisions du vélo sur les petits chemins lotois, il s’étonnait de ces ersatz de vaches que nous croisions, dont la robe n’était pas noire et blanche. Pour ma part, j’étais terrifiée par ces énormes salers, aux cornes en forme de lyre.
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| Salers à Laqueuille. Ecololo. CC : BY-NC-SA. Flickr |
Toujours en matière de vaches, peut-être qu’un jour on m’expliquera pourquoi celles que ma mère appelle « les vaches grises de mon pays », à savoir l’Ariège, sont en réalité des gasconnes alors qu’en Gascogne, ce sont précisément des blondes d’Aquitaine qu’on élève ! Voilà qui constitue d’ailleurs une vraie question pour un SRV, mais je m’égare.
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| Race gasconne. Le Nau. CC : BY-NC-SA. Flickr |
Vous l’aurez compris, cette fois je n’oserai même pas vous parler de l’idée de la vache et de la réalité de la vache tant la situation est inextricable, tant du point géographique que du point de vue du pelage… Une « vraie » vache, c’est un idéal rêvé sur un imagier d’enfant.
Quant à savoir si « un fichier de données informatiques téléchargées sur une tablette » est un livre, ma foi, pourquoi pas ? Est-ce qu’une tomate blanche a beaucoup à voir avec une cornue des Andes ? Finalement, papier ou numérique, il y a fort à parier qu’on verra toujours se côtoyer du Jean Echenoz et du Florian Zeller. Le « vrai » livre, comme la vraie vache et LA tomate, reste l’héritier d’un imaginaire. N’oublions pas qu’en leurs temps les livres de poche, puis les livres à 1 ou 2 euros, que personne ne songeraient plus aujourd’hui à décrier, ont subi des attaques du même acabit.
C’est alors que Toinet revint…
J’en étais là de mes réflexions sur la tomate, les vaches et les livres lorsque j’ai découvert cet article signalant l’achat de Flammarion par Gallimard. Où l’on apprend que Google et Apple n’ont qu’à bien se tenir, désormais ! Trève de plaisanterie, évidemment que le retour dans l’Hexagone d’une aussi vieille maison que Marpon-Flammarion peut susciter un plaisir un tantinet chauvin. Cela dit, quelques passages de l’entretien avec Antoine Gallimard m’ont mise mal à l’aise.
Tremblez, internautes !
« Votre présence à la tête de ce groupe, le 3e français, le 31e mondial, a-t-elle déjà suscité des jalousies?Pas pour l’instant. On pense plutôt que je suis courageux d’investir dans le marché du livre, remis en question et par Amazon, qui promeut l’autoédition, et par les internautes, qui poussent à la gratuité. »
Méchants que nous sommes, nous, internautes qui voudrions la gratuité ! Il se trouve qu’avant d’être internaute, je suis d’abord lectrice. Multi-supports, si l’on y tient. Il se trouve surtout que je lis plus en un mois que je ne peux me permettre de dépenser. Alors oui, si je peux trouver de la lecture gratuite, j’en suis ravie. Que ce soit en bibliothèque ou par des moyens que la déontologie professionnelle m’interdit de citer ici. Il me semble finalement que ce sont moins les internautes qui poussent à la gratuité que les lecteurs qui, crise oblige, n’ont pas tous les moyens de lire à leur faim.
Et Colomb franchit l’Atlantique
« Les Européens sont-ils, selon vous, plus attachés au texte imprimé que les Américains?Oui, on voit bien qu’avec leurs librairies, leurs universités, leurs ouvrages très bien édités, les Européens, et notamment les Français, restent très attachés au livre. Les Américains ont plus une conception de livre jetable et moins la notion de bibliothèque, du fait qu’ils déménagent, qu’ils n’ont pas eu cette culture des ancêtres à travers leurs propres bibliothèques. En France, la résistance au tout-numérique est beaucoup plus forte qu’aux Etats-Unis. »
Avec la tomate, les vaches, la gratuité, j’avais sombré dans une logorrhée bloguesque mais j’étais restée relativement calme. En lisant ces lignes-là, j’ai ressenti la même colère sourde que lorsqu’on me fait remarquer dans les Pyrénées que moi, quarteronne espagnole, je ne suis pas tout à fait de là, alors que mon grand-père s’y est installé il y a plus de soixante-dix ans.
Rappelons juste que la bibliothèque du Congrès est la plus importante bibliothèque du monde et qu’elle a déjà gaillardement plus de deux cents printemps. En matière de « culture des ancêtres », deux cents ans sont-ils suffisants ?! Et que dire d’Harvard qui possède la plus importante bibliothèque universitaire au monde…
Quant à la « notion de bibliothèque », inutile de traverser l’Atlantique pour ne pas la connaître, il suffit d’avoir grandi dans un environnement défavorisé au coeur même de la vieille Europe : « Si vous n’êtes pas issu de classe moyenne, vos étagères sont vides », rappelait Zadie Smith il y a peu pour défendre les bibliothèques publiques britanniques.
Où l’on songe à la reconversion…
C’est à s’interroger sur la pertinence de travailler encore dans les métiers du livre texte, des lectures pareilles. Le cousin (pas celui des vraies vaches, un autre) qui élève des vaches gasconnes en Ariège a toujours besoin de monde ; l’on pourrait devenir vachère, mener le troupeau à l’estive et emporter de la lecture sur tous les supports possibles, sans plus jamais se préoccuper de ces exaspérantes querelles des anciens et des modernes.
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| Pâturage alpestre. Mathieu Péborde. CC : BY-NC-SA. Flickr |
Pour une réponse sérieuse et argumentée à l’Appel des 451, on se reportera à l’analyse aussi sévère que juste de Rémi Mathis.
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veille rss CC-BY-NC-SA par fenetresur |
- Si vous n’en voyez qu’un…
- Parce que c’est un beau texte
- Enseignement supérieur
– car “les bibliothécaires du monde entier se battent pour la liberté d’expression de tous dans le cyberespace. Ils ont été en première ligne pour éviter la censure de l’internet en bibliothèque, respecter la vie privée des utilisateurs et permettre un accès égal à toutes les informations contenues dans la bibliothèque. Ils agissent selon une éthique professionnelle forte. Leurs actions individuelles dénotent un courage admirable : ils s’engagent en faveur de la liberté de pensée et de la démocratie alors même que c’est leur emploi qui est en jeu.“
- Tournevis et clés à mollettes
- Kit de survie (c’est l’été, le butinage est vraiment farfelu…)
« Vous ne pouvez pas vraiment faire de la recherche de pointe, lorsque, une douzaine de fois par jour, vous allez devoir attendre jusqu’au lendemain pour obtenir quelque chose. C’est comme les singes se balançant à travers les arbres. Lorsque vous balancez de liane en liane, et que vous tendez la main pour la prochaine branche, et qu’il n’y en a pas là, vous tombez. C’est comme le stockage hors site. Vous ne pouvez pas faire de la recherche de cette façon ».







