Bibliothéconomie & Cie. - Dir. publ. et réd. en chef Cécile Arènes. - Paris : [s. n.], 2006 - ... .

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Un prof qui regrette l’affaissement de son autorité tout en continuant à imposer le miroir d’une société disparue n’a pas compris grand chose à l’histoire de la culture depuis un demi-siècle. Dans cette évolution, le numérique n’est que la cerise sur le gâteau, qui a confirmé aux jeunes l’autonomie de pratiques de plus en plus impénétrables pour les maîtres. C’est parce que l’école a refusé depuis longtemps de s’adapter à la culture des nouveaux médias (à commencer par le disque et la télévision dès les années 1960) qu’elle a perdu progressivement le prestige et l’autorité qui fondent l’efficacité d’une prescription. Dans cette histoire, avant de devenir la victime du désintérêt des élèves, le livre est d’abord celle de l’inconséquence des maîtres.

« 30 ans de politiques d’information scientifique (1982-2012) »

 

J’étais lundi dernier à la journée « 30 ans de politiques d’information scientifique« , organisée par le réseau des URFIST. Quelques notes prises ce jour-là.

  • Introduction
Michel Roland, conservateur, co-responsable de l’URFIST de Nice-PACA-Corse et Président de l’ARU – Association du Réseau des URFIST
Dans les années 80, les professionnels qui s’occupaient du numérique dans les établissements étaient cantonnés à un domaine qu’on pourrait qualifier de « régional ». Aujourd’hui, on peut dire que c’est la documentation qui est devenue un domaine « régional » dans le numérique.
  • La naissance des URFIST
« Denis Varloot, qui fut de 1981 à 1987 directeur de la DIST puis de la DBMIST à la direction générale de l’enseignement supérieur et de la recherche, rappellera les origines des URFIST dans le contexte d’une époque où rares étaient les chercheurs formés à l’interrogation de banques de données, encore plus rares les étudiants qui y avaient accès. Il replacera cette création dans le cadre de la politique conduite par la DBMIST, installation de terminaux dans les BU, rôle des conservateurs, « ticket modérateur »…  Lydia Mérigot, qui était déjà responsable de l’équipe de formateurs du temps de la DICA, avant la DIST, complétera cet exposé en présentant le dispositif très original mis alors en place, son caractère inédit et les obstacles qu’il fallut surmonter pour créer et faire vivre ces « unités », dont la durée montre qu’elles répondaient à un besoin manifeste. »[1]
Denis Varloot, ancien Directeur de la DBMIST au Ministère de l’Education nationale, fondateur des URFIST en 1982
Au début des années 80, on éprouvait de vraies difficultés à repérer les trésors cachés : l’IST existait mais n’était pas accessible. Les thèses, par exemple, figuraient dans des répertoires avec deux ans de retard et elles n’étaient pas indexées.
La BU était considérée comme l’étranger dans la maison : les enseignants conseillaient de lire leur polycopié sans passer par la BU.
La création des URFIST s’est inscrite dans la continuité de plusieurs rapports nationaux qui avaient mis l’accent sur l’importance de la gestion et de la préservation de l’information scientifique : le rapport Minc, « L’informatisation de la société » et les plans calcul et télécom.
Les URFIST ont été créées en 1982, précédées de peu par les CADIST en 1980. Dès 1988, l’INIST sera mis en place. C’est notamment la loi Savary qui permet le rapprochement de la recherche et de l’IST.
Il s’agit de remettre l’église au cœur du village et de faire de la BU comme aux Etats-Unis le cœur de l’université. De cette volonté sont nées les structures qu’on a appelées les SCD.
Denis Varloot a donné une conférence dans les années 80, « Du puits au robinet », où il montrait que les bibliothécaires n’étaient plus des gardiens de coffres mais devenaient des fontainiers.
Pour Denis Varloot, les Urfist devaient constituer un pont qui devait permettre aux personnels des universités, conservateurs et chercheurs, de se reconnaître.
Lydia Mérigot, anciennement responsable de la Formation à la DIST puis à la DBMIST
Lors de la création des centres de formation aux banques de données, il a d’emblée été décidé de constituer des équipes de deux personnes, un conservateur et un universitaire.
A l’époque, la France était encore très centralisée et il était nécessaire de démultiplier les formations.
Un projet de convention a été rédigé fin 1981, inspiré par les centres de formation des maîtres aux applications pédagogiques à l’informatique.
Les Urfist ne devaient pas se cantonner à l’université. Elles devaient aussi se tourner vers l’extérieur (CCI, centres de documentation, etc.). Le rôle régional des URFIST a d’emblée été défini en plus du rattachement à l’université.
Rapidement, des stages de formation de formateurs ont été mis en place.
  • Mutations du champ, permanence et prégnance des enjeux
« L’IST est modifiée en profondeur par la globalisation informationnelle, scientifique et technique, économique, managériale…, dont elle est en même temps un facteur majeur d’accélération et d’orientation. Elle constitue à ce titre un enjeu – économique mais aussi culturel et géopolitique – plus prégnant que jamais.
Mutation du champ : nouveaux modèles économiques, redéfinition des produits et services ; web 2.0 et articulation forte de l’IST avec une nouvelle culture S&T (CST) ; l’IST comme infrastructure de production des indicateurs S&T, éléments structurants des activités, formes et politiques de la S&T (PST).
Permanence des enjeux : dans ce foisonnement d’activités et d’acteurs émergents, les questions fondamentales (et anciennes) de la confiance, de la lisibilité, des normes et des référentiels se font sentir de manière extrêmement forte. L’IST est au centre de cela avec le dispositif central que représente le système des revues scientifiques et de la connaissance validée par les pairs.
Prégnance des enjeux : l’IST est partie prenante de la définition des normes de scientificité et des questions considérées comme scientifiquement légitimes ou importantes – tous éléments majeurs dans les jeux de pouvoir politiques, idéologiques et économique à l’échelle mondiale. »[2]
Rémi Barré, professeur de Politique scientifique au CNAM, ancien directeur de l’OST
Le support de la communication est disponible en ligne.
Les enjeux de l’IST sont scientifiques, économiques, politiques, géopolitiques et culturels. Les domaines d’enjeux portent sur les communautés scientifiques. Le système IST avec ses acteurs et ses relations affecte l’efficacité et la pertinence de la recherche et de l’innovation.
A chaque époque, son système IST. Quelques mots clés pour ce système :
– avant les années 80 → édition : papier et sociétés savantes ; indicateurs : financements institutionnels.
– entre 1980 et 2000 → édition : bases de données, bouquets, éditeurs industriels ; indicateurs : compétition entre les projets, bibliométrie.
– à partir de 2010 → édition : web 2.0, open accès ; indicateurs : co-opétition mondiale, crowd funding et webométrie.
Emergences depuis 2010 → webometrics : web publish or perish ; voie dorée/verte ; dispositif numérique de diffusion & archivage ; tendances à commenter, annoter.
Tendances lourdes → le web est désormais l’instrument même du travail des chercheurs et plus seulement le lieu de diffusion des résultats de la recherche ; les politiques comme les chercheurs sont demandeurs de libre accès.
Le contexte s’est brutalement reconfiguré : la situation est mouvante, marquée par la conflictualité. L’éditorial de Nature en septembre 2012, par exemple, était consacré aux éditeurs-prédateurs. Le boycott d’Elsevier pour son soutien au Research Work Art a été porté par Harvard.  Les polémiques  sur la voie dorée ne cessent d’enfler.
Se met désormais en place une nouvelle manière de produire de la connaissance scientifique via le web social, les données ouvertes et le travail collaboratif. Grâce au web, les communautés scientifiques peuvent entretenir une grande conversation. On assiste à un retour aux fondamentaux de la recherche scientifique par les communautés : un mouvement social émerge dans le village planétaire.
Avec la webométrie, il s’agit  de poursuivre cet objectif jamais atteint de l’impact de la recherche sur la société civile. Il s’agit aussi de création de communs (au sens économique) et de biens publics.
Dans un monde globalisé, l’IST est une infrastructure cognitive de la science.
  • Enjeux socio-cognitifs de l’IST sous les conditions du numérique
« Après trente ans de politiques d’IST et d’évolutions socio-techniques incessantes, dans un paysage universitaire profondément renouvelé, quels sont les principaux défis, les questions vives se posant aux professionnels de l’IST ? Dans la reconfiguration générale des missions, des tâches, des profils et des formations qui touche l’ensemble des professionnels de l’information spécialisée, quels sont les nouveaux profils attendus, les nouvelles compétences exigées pour les professionnels de l’IST en particulier ? Quels nouveaux positionnements des professionnels dans la recomposition du paysage universitaire, et notamment dans les relations, toujours complexes, entre bibliothécaires et enseignants-chercheurs ?
Quelles articulations trouver entre les nombreux acteurs de la formation à l’IST ? Quelles nouvelles missions, quels positionnements des URFIST, à la fois vis-à-vis du monde de la recherche et de celui de la formation continue des bibliothécaires ?
Après un regard rétrospectif sur les trente ans écoulés, les intervenants tâcheront d’éclairer de leur réflexion les nouveaux défis auxquels doivent répondre les professionnels et les structures de formation à l’IST. »[3]
Ghislaine Chartron, professeur titulaire de la chaire d’Ingénierie documentaire du CNAM, Directrice de l’INTD
Le support de la communication est disponible en ligne.
Aujourd’hui, l’IST se situe au croisement de différents mouvements : la servicialisation (tout devient service) ; l’économie de l’accès et de l’attention ; l’économie du gratuit ; l’open access et l’open innovation ; l’économie sociale et participative ; la transformation des comportements des usagers ; le contexte de crise.
Les métiers de l’information doivent justifier leurs tâches face aux décideurs, aux usagers, aux autres services internes et aux services externes. Ils sont en challenge dans la réponse qu’ils doivent apporter aux objectifs majeurs des organisations qui sont : les performances et les qualités de la recherche, la satifsaction des usagers, le travail en réseau, la performance et la qualité de l’enseignement.
L’ISTEX, qui conduit à envisager l’IST au niveau national, pose la question du référencement local.
Les défis d’aujourd’hui sont de concurrencer google (research discovery tools), de soigner l’accueil des étudiants (lien social) et les services à distance, de favoriser l’innovation de services, de valoriser les productions locales, de renforcer les relations avec les éditeurs pour maintenir la qualité et régulation de l’offre (on ne peut pas être éditeur), de créer une synergie avec les TICE (un seul point d’entrée pour l’usager), de mettre en valeur les indicateurs pour la recherche, d’intégrer le web de données (pour les catalogues).
Le cœur de nos métiers se situe dans la stratégie des contenus. Nous avons besoin d’autres compétences (frontières) : compétences projets, compétences de conception et d’ingénierie (cahier des charges et connaissance des techno), communication, formation et lien social (ouverture à la convivialité, animation de communautés virtuelles).
Les Etats-Unis ont toujours constitué un espace très inspirant pour le domaine des sciences de l’information. Là-bas, la BU est au cœur de l’université parce que le cours est un espace de débats. On donne à lire aux étudiants avant le cours pour qu’ils le préparent. L’étudiant passe donc systématiquement par la BU avant chaque séance. Tant qu’on n’aura pas changé le modèle français du cours magistral avec support polycopié, on pourra construire ce qu’on veut en matière d’IST, sans véritable succès.
Carole Letrouit, vice-Présidente de l’ADBU, directrice du SCD de l’Université de Paris 8 Vincennes-à-Saint-Denis
            Les assises de l’ESR démarrent aujourd’hui. La CPU a déposé une contributiondont la proposition 57 nous concerne tout particulièrement : « La CPU attire l’attention sur les politiques d’Open Access et appelle la plus grande prudence sur le dispositif des publications libres d’accès et financées sur le principe auteur-payeur (gold way) des éditeurs. Elle préconise que les universités et sociétés savantes se réapproprient l’édition scientifique par la publication de revues libres. »
Les universités en ont les moyens : leurs bibliothèques ont développé des compétences dans la publication de l’IST depuis des années. De plus, les modèles économiques des éditeurs sont à des tarifs exorbitants pour les bibliothèques.
Il faut encourager la mise en place d’archives ouvertes (HAL ou autre).
L’enquête Couperin/ADBU/INRA/INRIA a montré que les documentalistes et bibliothécaires s’investissent massivement dans la publication sur des AO.
A Paris 8, un demi-poste est dédié au HAL de l’université. Il a fallu convaincre le conseil scientifique que c’était le cœur de métier des bibliothécaires de signaler des publications, qu’elles soient sur papier ou en ligne. Désormais, les chercheurs font appel à la BU pour la publication de toutes sortes de documents (actes de colloques non édités par exemple). L’ancien service des thèses de l’université a depuis été rebaptisé « service des publications de la recherche ».
Dans le domaine des humanités numériques, l’IST constitue l’infrastructure de la recherche. A l’heure du numérique, les chercheurs ont besoin qu’on leur bâtisse des corpus.
Le glissement des frontières touche aussi la dimension pédagogique de l’activité des enseignants-chercheurs. La BU participe par la mise en ligne de cours ou la préparation de plateformes de cours. Les UNT, universités numériques thématiques, font aussi appel aux bibliothécaires.
Ces nouvelles tâches nécessitent une forte évolution dans les compétences du personnel : c’est une grande partie du travail auquel se consacre l’ADBU, via deux commissions : l’une sur l’évolution des métiers, l’autre sur la recherche.
Michel Roland, conservateur, co-responsable de l’URFIST de Nice-PACA-Corse et Président de l’ARU – Association du Réseau des URFIST
La force des urfist réside dans leur liberté d’invention et d’anticipation. Par contre, ce sont des petites structures qui ne sont pas des poids lourds du paysage.
Elles ont la caractéristique d’être animées par des binômes, qui sont là pour créer un pont au sein de l’université, en faisant se rencontrer des métiers. Les enseignants-chercheurs et les bibliothécaires travaillent à définir une stratégie commune et des formations.
Les Urfist ont souvent été qualifiées d’électrons libres. C’est péjoratif du côté des bibliothécaires qui ont une forte culture administrative, beaucoup moins pour les enseignants-chercheurs attachés à leur liberté académique.
La formation à l’IST n’appartient pas aux Urfist. Dans les SCD, le relais est désormais pris pour les actions de formation, notamment celle aux doctorants. Les Urfist interviennent parfois aujourd’hui comme un relais de formation de formateurs.
On constate un changement dans les rapports entre l’information et la documentation. L’inversion des forces a des conséquences sur les métiers.
La question « est-ce qu’on aura encore besoin de bibliothèques ? » n’est peut-être pas bien posée. Une réponse logique s’impose si on pose la question des bibliothécaires : on a besoin des compétences des bibliothécaires et des documentalistes. La bibliothèque est un lieu, le SCD un pôle de compétences au sein de l’université.
Il y a aujourd’hui une sous-estimation des compétences documentaires : petit à petit, une série d’accidents finira par montrer qu’on a besoin de la fonction et des compétences documentaires.
La dimension régionale des Urfist est une source de richesse et d’enrichissement et il est importance de mieux penser les relais que constituent ces structures.
Les formations proposées par les Urfist accueillaient auparavant une grande majorité de bibliothécaires. Aujourd’hui, ils ne représentent plus qu’un quart/tiers du public.
La formation ne peut pas se passer d’une veille constante sur les besoins en compétences. Le futur des Urfist réside donc dans la capacité à travailler avec les métiers qui nous environnent.
  • Libre accès aux données de la science : comment œuvrer en faveur des intérêts de la recherche ?

« En 2007, les directives émises par l’OCDE en faveur de l’accès aux données de la recherche publique postulaient qu’un meilleur retour sur investissements pourrait être atteint par la mise en libre accès de ces données, et donc leur réutilisation. Depuis, des acteurs de la recherche publique dans différents pays, ont mis ces directives en application. Sur le plan international, il existe aujourd’hui plusieurs initiatives destinées à améliorer la gestion, le partage, la recherche et le ré-exploitation de ces données. L’intervention s’attachera à faire le bilan de ces initiatives, tout en précisant de quelle manière nous nous sommes plus ou moins rapprochés du projet de partage des données de la recherche. Enfin, l’intervention posera la question de savoir si les intérêts et les motivations des chercheurs ont été suffisamment pris en compte et analysés : sommes-nous conscients de tous les enjeux et conditions que le partage de données implique ? Que convient-il de faire pour que ce partage s’intègre dans la pratique de la recherche et de la communication scientifique ? »[4]
Simon Hodson, programme Manager au JISC (Royaume-Uni)
Le support de la communication est disponible en ligne.
La gestion des données de recherche s’inscrit dans les histoire des politiques et des défis actuels de l’IST au Royaume-Uni.
Le JISC est un organisme fondé par l’état pour promouvoir l’utilisation des technologies numériques et de l’information auprès des universités britanniques.
Janet est le réseau national de la recherche et enseignement.
JISC collections, enfin, gère les achats de contenu numérique pour l’enseignement et la recherche.
Le JISC est un service de conseil et de soutien, qui intervient dans des programmes et projets d’innovation. Il s’appuie sur la politique sur les données de recherche de la « Royal society » britannique, dont la devise est nullius in verba.
La Royal society a récemment publié un rapport, « La science comme entreprise ouverte », où l’accent est mis sur l’importance de l’accès aux données de recherche. Leur accessibilité accroît le retour sur l’investissement public dans ce domaine, elle renforce la liberté de l’investigation scientifique, elle encourage la diversité des études, des domaines d’activité et d’opinions (principes de l’OCDE).
Accéder aux données de recherche permet de vérifier les résultats, d’éviter la fraude scientifique, d’encourager la reproductibilité de la recherche.
Principes généraux des données de recherche :
– elles sont un bien public : les données de recherche financées par l’Etat sont produites dans l’intérêt public et doivent être aisément accessibles avec le moins de restrictions,
– planification de la conservation : les données doivent pouvoir être conservées de façon pérenne et être réutilisables,
– traitement des données sensibles : l’Etat doit garantir la protection des données sensibles,
– première utilisation : un droit exclusif est réservé aux chercheurs au préalable à la diffusion des données de recherche,
– reconnaissance : les utilisateurs des données doivent reconnaître leurs sources et citer les chercheurs qui les ont produites.
Il existe malheureusement encore des divergence entre la politique et la pratique : toutes les données de recherche ne sont pas encore préservées à long terme et le travail actuel du JISC est d’aider les universités à les conserver.
  • L’approche du SURF : les raisons d’un succès
« Au printemps 2012, le SURF, organisation néerlandaise qui soutient les universités dans le domaine des TIC, a célébré son 25ème anniversaire. Massivement représenté à Utrecht, le SURF a pu dresser un bilan de ses projets, de ses activités et de ses implications. Les initiatives du Surf qui enregistrèrent les meilleures performances doivent surtout être mesurées à l’aune du changement qu’il a pu impulser au sein des institutions universitaires. L’intervention mettra précisément l’accent sur les principaux éléments moteurs ayant conduit à un pari d’innovation réussi, piloté par le SURF. »[5]
Marc Dupuis, E-Research programme manager, SURF Foundation (Pays-Bas)
Le support de la communication est disponible en ligne.
SURF est un organisme de coopération entre les universités autour de l’IST. Toutes les universités sont membres de SURF (aux Pays-Bas, 13 universités de recherche, 40 universités des sciences appliquées, 8 CHU, 7 instituts de recherche), pour un total de 69 membres.
Les missions de SURF sont de soutenir les membres dans le domaine des TIC et de les aider à innover et à créer des collaborations.
SURF est divisé en plusieurs branches :
Surf net : construction d’une infrastructure commune, d’un réseau national de haute qualité. C’est une réussite, notamment via AMS-IX (2e nœud d’interconnexion dans le monde).
Surf market : fourniture de licences de logiciels à prix réduit (à destination des enseignants, chercheurs, étudiants) et négociations contrats avec les éditeurs scientifiques (Elsevier, Springer).
Surf share : offre de services qui ne sont pas disponibles sur le marché commercial.
  • Mutations de l’IST et conséquences sur la formation à l’information – table ronde
Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur à l’Université de Nantes
Odile Hologne, directrice déléguée à l’information scientifique et technique de l’INRA
Jean-Emile Tosello-Bancal, directeur de la BIU Cujas, ancien Chef de Bureau à la SDBIS
Marie-Joëlle Ramage, enseignant-chercheur, Chargée de mission TICE à l’Université Paris-Sud
Christine Berthaud, directrice du CCSD-CNRS
Animation : Marie-France Andral, conservateur co-responsable de l’URFIST de Bordeaux
« A l’heure de la généralisation d’internet, de l’open access et de la « science 2.0 », les lieux du savoir se multiplient et les usages se diversifient, rendant plus complexe le paysage de l’information scientifique et plus nécessaires des compétences informationnelles numériques spécifiques. Un tel contexte ne peut dès lors qu’induire de forts enjeux de formation, ce dont les tutelles ont bien conscience. La mise en place de différents C2i et la présence d’un axe particulier « formations, compétences, usages » dans le projet de Bibliothèque Scientifique Numérique (BSN) sont en ce sens révélatrices. Mais face à la multiplicité des partenaires (enseignants, services TICE, bibliothèques, Urfist…), quelles politiques de formation proposer ? Comment, notamment, démêler les convergences et les différences entre les TICE et l’IST ? Telles sont les questions qu’abordera cette table-ronde, dont les participants partagent tous les mêmes préoccupations : former autant qu’informer. »
Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur à l’Université de Nantes
Nous assistons aujourd’hui à une des mutations les plus décisives pour l’IST, à savoir la question de la constitution des corpus et de leur maîtrise. Les chercheurs produisent et gèrent des corpus. Or on voit apparaître aujourd’hui des corpus qui ne sont plus gérés par les chercheurs, google books par exemple. Pour certains faits scientifiques, seuls les corpus privés sont accessibles, ce qui pose un problème de gouvernance.
La deuxième mutation est le glissement progressif des NTIC vers les technologies de l’attention et de la distraction. Les interfaces technologiques ne sont plus simplement là pour produire ou analyser de l’information, elles sont là pour mériter de l’attention. Qui décide de ce qui vaut attention ou pas ?
Enfin, la troisième mutation est celle qui voit arriver une génération qui n’a connu que le numérique : cette génération aura été habituée à publier et à partager depuis son plus jeune âge.
Odile Hologne, directrice déléguée à l’information scientifique et technique de l’INRA
Projet FuturIST : ce projet de l’INRA consiste à cerner les attentes des chercheurs afin de déboucher sur les compétences métier pour les professionnels de la documentation. Les compétences nécessaires sont technologiques (travail sur les métadonnées, services de veille et de bibliométrie). On glisse d’une fonction qui gérait du papier vers une fonction d’analyse de l’information et de veille.
Il s’agit désormais de décliner des formations pour les professionnels avant de se poser comme des bibliométriciens. Par ailleurs, les compétences relationnelles sont de plus en plus importantes. Les chercheurs ne viennent plus dans les services de documentation, c’est aux bibliothécaires à aller vers eux. Il s’agit d’être en phase avec la stratégie scientifique.
Jean-Emile Tosello-Bancal, directeur de la BIU Cujas, ancien Chef de Bureau à la SDBIS
            La documentation papier reste très consultée et le public très nombreux à Cujas.
Quels axes de formation privilégier pour les professionnels ? Il est difficile de répondre car la profession a tendance à s’élargir de plus en plus : les fonctions se diversifient, elles sont aussi bien administratives que techniques, etc.
Il faudrait pouvoir faire appel à la créativité des équipes en ce qui concerne l’expression et la réalisation de projets.
La formation des usagers devient très prenante et très présente. Il s’agit de faire passer une sorte d’acculturation au numérique par la formation.
Marie-Joëlle Ramage, enseignant-chercheur, Chargée de mission TICE à l’Université Paris-Sud
La formation au numérique des étudiants de licence se développe, il est primordial de leur transmettre le minimum requis en ce qui concerne la culture informationnelle : regarder ce qui se passe sur le web, apprendre à chercher et à évaluer la fiabilité des sites.
Dans le cadre du C2I, la recherche documentaire est un des cinq piliers dont est chargée l’université.
Odile Hologne
La formation des doctorants à l’IST est renforcée à l’INRA : c’est un public cible car il permet de toucher les chercheurs qui les dirigent. De surcroît, les doctorants sont les chercheurs de demain. Leur outil de recherche classique est google, ils ne comprennent pas ce qu’est l’OA. Le problème des bibliothèques est surtout un problème de communication : les chercheurs ne savent pas qui paie leurs bases de données.
Le programme de formation est assuré par les documentalistes, qui ont préalablement suivi un module de formation de formateurs. Les formations portent sur trois thématiques : rechercher l’information ; gérer l’information ; valoriser l’information ; écrire un article scientifique (optionnel). Elles sont divisées en 3 modules de 3 journées chacun (+ 4e en option).
Christine Berthaud, directrice du CCSD-CNRS
Les digital natives sont dégourdis avec l’outil informatique mais peu attentifs aux conséquences.
Nous sommes dans une période de mutation/charnière, où l’on doit gérer l’ancien système, combiné à de nouvelles pratiques.
La production de contenus numériques est de plus en plus importante, or on ne nous apprend pas à la gérer. Il s’agit d’être professionnel et d’acquérir une véritable culture du numérique.
Jean-Emile Tosello-Bancal
La culture informationnelle souffre de deux idées reçues, l’instantanéité et l’immatérialité.
Le document numérique a une forme matérielle : il est destiné à être archivé. La dimension de l’archivage pérenne du document est fondamentale pour les professionnels de l’IST.
Marie-France Andral, conservateur co-responsable de l’URFIST de Bordeaux
On sait aujourd’hui que les outils du web 2.0 sont utilisés de façon modérée et passive.
On constate une méconnaissance économique du marché de l’information par les doctorants. De même, ils ne maîtrisent pas toujours les enjeux politiques et sociétaux d’internet.
Olivier Ertzscheid
La question des natifs du numérique suscite des avis partagés : d’un côté, une construction, une mythologie sociale sur les digital natives, avec le mythe de l’enfant éclairé (cf. Antonio A. Casilli). Face à cela, l’imagerie scientifique révèle que les zones activées du cerveau chez l’enfant et l’adulte ne sont pas les mêmes pour une activité multitâches que pour une activité monotâche.
Il faut donc intégrer la réflexion aux pratiques : dès qu’un média se met en place et occupe une place importante, il faut l’accompagner par un enseignement. En voyant depuis quand on enseigne le décryptage de la télévision et du cinéma, on peut craindre que l’enseignement au numérique ne mette encore longtemps à se mettre en place.
Maire-Joëlle Ramage
En licence, les étudiants n’ont aucune culture informationnelle. Ils ont l’habitude d’aller chercher l’information mais sans aller ailleurs que sur google. Ils n’ont pas non plus conscience de ce qu’ils donnent comme informations sur eux-mêmes.
Olivier Ertzscheid
Les étudiants n’ont sans doute pas une vision claire des questions d’identité numérique mais ils en ont une pratique de moins en moins naïve.
Tous les outils à la disposition des étudiants aujourd’hui sont des outils où le coût cognitif est nul : quand on taggue, on ne se pose pas la question des vedettes. De fait, un temps nous est laissé pour travailler en multi-tâches.
La question est désormais de savoir comment réinvestir ce temps de cerveau laissé disponible par ce coût cognitif quasi-nul pour faire autre chose ?
Marie-Joëlle Ramage
Sur cinq sections, le C2I comporte un module complet sur la recherche documentaire. Il intègre aussi des notions identité numérique.
Il existe également un C2I niveau 2, destiné aux professionnels.
La parution du référentiel des compétences en licence a souligné l’importance de la capacité à rechercher une info, à la traiter et à l’évaluer.
Au niveau politique, on pousse de plus en plus à prendre en compte les capacités en recherche documentaire.
En termes politiques, le C2I niveau 1 est déployé largement par les universités (soit par les SCD, soit par les enseignants-chercheurs).
Jean-Emile Tosello-Bancal
Un accompagnement important a été fait dans le cadre du plan licence avec le recrutement de tuteurs étudiants.
Aujourd’hui, il s’agit de créer et redéployer spécifiquement pour la licence, afin de renforcer l’encadrement enseignant de ce public plus fragile.
Concrètement, les formations qui ont lieu à Cujas se font avec l’appui du SCD. Le réseau des bibliothèques de Paris 1 se compose du SCD, de 2 BIUS et de 40 BUFR. Des partenariats existent entre le SCD et les BIUS pour la formation : le  SCD prend en charge le niveau licence, la BIUS et Cujas se consacrent au niveau recherche.
Marie-Joëlle Ramage
A Paris Sud, le SCD a formé les enseignants à la recherche documentaire, afin que ce soit eux qui forment les étudiants. Il était impossible pour le SCD de former mille étudiants de licence. Le travail effectué a été totalement collaboratif.
Christine Berthaud
Les compétences autour de l’IST sont distribueés entre les SCD, les services TICE, les UFR, etc. La formation des usagers peut permettre de rapprocher ces structures.
Marie-France Andral
A Bordeaux, la fusion des universités a permis la création d’un SUP, service universitaire de pédagogie. Cela a donné l’occasion de faire se rencontrer les différentes structures.
Olivier Ertzscheid
On est face à un cloisonnement entre les services : les outils mis en place à l’université entretiennent les cloisonnements métiers et institutionnels. Au lieu de moodle, on peut tout simplement diffuser les cours sur des plateformes de blog, même si on se heurte à des réticences.
Marie-Joëlle Ramage
On note une évolution : les TICE et les SCD commencent à se rapprocher sur le référencement des ressources numériques pédagogiques.
Jean-Emile Tosello-Bancal
Le collège des écoles doctorales a acté qu’un nombre d’heures de formation serait dispensé par les bibliothèques. Le travail est plus difficile en ce qui concerne les licences, car il faut s’appuyer sur enseignants motivés.
Olivier Ertzscheid
Les compétences des enseignants-chercheurs sont en train de changer.
D’un point de vue pratique, il s’agit maintenant d’intégrer la formation aux outils réseaux sociaux en faisant de l’information participante, c’est-à-dire devenir l’ami de ses étudiants sur facebook. Il faut se servir de ces outils pour y réinstaller des postures d’autorité et y être en restant enseignant. C’est d’autant plus important que la capacité de prescription de ces  outils est gigantesque.
La légitimité est centrale : l’usager cherche un article sur google scholar et il se fiche qu’il soit accessible sur Elsevier ou sur une archive ouverte du moment qu’il y accède. Il s’agit d’anticiper afin de ne pas être dépossédé de son objet, comme les libraires le sont avec le livre numérique.
  • Conclusion
Michel Marian, Chef de la Mission de l’information scientifique et technique et du réseau documentaire (MIST-RD) au Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
Michel Marian a présenté les travaux en cours autour de BSN, notamment BSN 9 (formation, compétences et usages), et de l’ISTEX, en rappelant qu’ils structurent aujourd’hui le paysage de l’IST.  Dans le cadre de BSN 9, les Urfist auront un rôle à jouer en ce qui concerne la formation de formateurs. La coopération est le maître mot de l’ensemble des projets en cours.
La décision de doter la France d’une plateforme de négociation nationale a été prise et des stratégies de coopération et de mutualisation se développent depuis deux ans. Avec BSN, il s’agit de penser les accès de ressources électroniques avec les accès libres.
Michel Marian a signalé qu’une prise de position française sur la question de l’OA aurait lieu bientôt et qu’elle tiendrait compte des recommandations européennes. Une charte de bonnes pratiques de l’édition publique scientifique, avec un label, seront également créés.


[1]              http://urfistreseau2012.wordpress.com/interventions/resumes-des-interventions/
[2]              http://urfistreseau2012.wordpress.com/interventions/resumes-des-interventions/
[3]              http://urfistreseau2012.wordpress.com/interventions/resumes-des-interventions/
[4]              http://urfistreseau2012.wordpress.com/interventions/resumes-des-interventions/
[5]              http://urfistreseau2012.wordpress.com/interventions/resumes-des-interventions/

En BUtinant #12/11

Si vous n’en lisez qu’un,
– ce serait sans doute ce billet de Silvère sur les biens communs de la connaissance et leurs usages marchands. Cette lecture vous a enthousiasmé ? Filez voir par !
Parce que le livre n’est rien d’autre que le support du texte
– François Bon a mis en ligne le très beau texte qu’il a lu à la BnF et qui résume parfaitement les mutations numériques du livre,
– Marc Jahjah propose une découverte de publie.net,
– Christian Jacob s’est intéressé à ce que pourrait devenir l’édition en SHS,
– si cette mutation des supports du texte vous paraît inquiétante, rassurez-vous et lisez Xavier de la Porte : elle est simplement de celles qui provoquent des paniques morales !
Et pendant ce temps-là, au joyeux pays des bibliographies,
– Franziska Heimburger a publié un excellent billet sur sa façon d’organiser sa documentation, qui ne peut pas ne pas intéresser les bibliothécaires,
Côté BU, on est préoccupé
– Olivier Legendre s’inquiète de savoir si l’open access est soluble dans le café équitable,
– Guillaume Hatt se désespère des DRM qui finiront par avoir notre peau,
– Daniel Bourrion s’agace de notre absence de spécialisation,
– enfin, Pierre Marige revient sur les numériquement incapables que nous serions.

« Profession bibliothécaire »

J’achève la lecture du court ouvrage de Guylaine Beaudry, Profession bibliothécaire, paru aux Presses universitaires de Montréal. Il décrit une approche du métier dont, me semble-t-il, nous devrions nous inspirer  plus souvent. 
La bibliothéconomie est d’emblée remise à sa place, c’est une pratique, en aucun cas une science. Elle est rattachée aux sciences de l’information dont elle s’inspire pour améliorer ses services. Après avoir décrit le champ des sciences de l’information, Guylaine Beaudry aborde la question du numérique dont, écrit-elle, nous ne « sommes qu’à l’âge de pierre. Jusqu’à maintenant, nous n’avons réalisé qu’une simple translation de l’imprimé au numérique. Tout est encore à faire. »
Dans le chapitre « Les bibliothèques : lieux de liberté », la bibliothèque est décrite comme « lieu d’accumulation de livres », mais surtout comme un endroit de « mise en relation » des textes entre eux : « l’accumulation de livres est génératrice de sens et, selon la jolie formule de Christian Jacob, elle fait reculer les frontières du temps et de l’espace ». La bibliothèque est aussi considérée comme « un moyen d’externalisation de la mémoire » puisque les besoins de mémorisation se sont atténués depuis l’invention de l’écriture (et non pas de l’internet, ajouterais-je pour répondre aux esprits chagrin !). J’aime beaucoup le passage qui suit qui me semble constituer une définition aussi jolie que juste de la bibliothèque d’aujourd’hui, tant physique que numérique :

« Pour reprendre la belle expression de Robert Damien, développée par Michel Melot, la bibliothèque est le « lieu des liens ». Lire, c’est entrer en dialogue avec soi-même ainsi qu’avec les auteurs, morts ou vivants. C’est entrer en communication avec l’humanité dans ce qu’elle a produit de culture, de sciences et de connaissances. »

Guylaine Beaudry lie étroitement les missions des bibliothèques et la notion de bien commun. Voici la définition qu’elle donne de cette notion :

« Parce qu’elles sont centrales à la mission des bibliothèques, arrêtons-nous un instant sur les notions de service public et de bien commun.Le bien commun n’est pas une collection de biens individuels. Il n’est pas non plus à possession et à usage exclusifs. Il relève de l’intérêt général et exprime la solidarité qui se manifeste dans une collectivité. Au-delà des besoins de base qui consistent à se nourrir, à se loger, à se soigner et à s’éduquer — et auxquels le bien commun participe —, les dimensions de l’accès à la culture, aux connaissances et à l’information y sont aussi intégrées pour permettre le développement et l’épanouissement des personnes. La consommation d’un bien commun par une personne ne diminue en rien sa valeur aux yeux des autres. En outre, le bien commun est accessible gratuitement et personne ne peut en être exclu. Il vise le bien-être du groupe par opposition aux intérêts d’un individu ou d’un groupe en particulier. »

Et de conclure que les bibliothèques « participent à la constitution et au partage d’un bien commun  En elles-mêmes, elles sont un bien public. » Vous êtes convaincus ? Cliquez ici 😉

Du côté des BU, ce que j’ai lu m’a fait tout simplement rêver :

« Une autre caractéristique distingue ces dernières, cette fois-ci par le statut des bibliothécaires, particulièrement dans les milieux anglophones, où ils sont considérés comme faisant parti du corps professoral. Cela implique pour ces bibliothécaires de mener des activités de recherche dans leur domaine. Les bibliothécaires des milieux de l’éducation travaillent souvent à l’extérieur des murs de la bibliothèque, soit par leurs enseignements en salle de classe, soit par leur présence dans les laboratoires de recherche. »

C’est très curieux comme à la lecture d’un tel paragraphe, vous pensez instamment mise en disponibilité, visa de travail, billets d’avion, etc. quand votre quotidien est si singulièrement différent de ce que vous voyez décrit ici….

En continuant la lecture, on apprend que le Québec protège depuis 1979 son réseau de librairies par une loi sur le développement des entreprises québécoises sur le domaine du livre. Celle-ci oblige les bibliothécaires à faire leurs acquisitions dans les librairies de la région. Là encore, doux rêve de l’acquéreur qui a souvent envie d’aller échanger avec la librairie spécialisée de sa ville, mais qui ne le fait pas sachant qu’on ne lui achètera rien (pour les non-bibliothécaires, en France les achats sont régis par des marchés publics, très souvent remportés par des grandes centrales de vente).

Décrivant les nombreuses facettes du métier, l’auteur estime qu’il est nécessaire au bibliothécaire de posséder des « notions de sociologie et de psychologie […] pour comprendre la nature et les besoins des usagers. » Là encore, il m’a semblé que nous en étions très loin.

Enfin, « le bibliothécaire, lit-on, doit être féru de technologies, devenir un utilisateur habile des outils informatiques et un expert des formats d’encodage des publications numériques ».

« Être bibliothécaire, conclut Guylaine Beaudry, c’est servir l’intérêt du public et du bien commun, et favoriser l’intérêt de la collectivité. » J’ajouterai impertinemment, être bibliothécaire, ce n’est pas s’abriter derrière le catalogage !

Le rendez-vous des lettres #4 : dernière journée

Dernier billet consacré à #pnflettres, très très lacunaire, plus brouillon que ceux des deux premiers jours  à mon âge, on n’a plus l’habitude de la prise de notes quotidienne… Le Café pédagogique a publié, lui, de vrais et beaux compte-rendus.
Je n’ai pas assisté aux ateliers, même si finalement je le regrette  pour tout dire, j’avais pris trois jours de congés pour assister au Rendez-vous des lettres et je m’étais réservé le temps des ateliers pour des vacances en 140 minutes.

Compétences scripturales et nouvelles littératies : quels apprentissages pour le futur ?
Etienne Candel
Il n’y a pas de véritable écriture numérique, dans la mesure où ce que l’on écrit, même sur ordinateur, n’est pas vraiment numérique. Pourtant, c’est une notion qui mobilise, qui est devenue ordinaire. Elle s’est banalisée via une série d’objets habituels pour nous : à cause d’eux, on croit reconnaître un certain type d’écriture. Ces objets ordinaires conditionnent des pratiques, qui deviennent routinières elles aussi.
Double mouvement induit par ces objets ordinaires, inscrits dans une nouveauté qui se périme très vite : d’un côté, un champ numérique qui s’affirme et de l’autre, des pratiques d’écritures qui cherchent à s’émanciper d’une tradition.
Valérie Jeanne-Perrier
4 millions d’utilisateurs d’Instagram dans le monde.
C’est une écriture qui se dessine à travers Instagram.
La plupart des outils de l’internet se présentent comme des structures rigides qui préparent et encadrent les productions à venir (notion d’architexte). Elles sont aujourd’hui transformées en contraintes, qui sont pourtant libératrices pour les usagers.
La photo est un média, une écriture construite. C’est un travail du regard. On peut lire l’image comme une construction : focale, choix du cadre, etc. sont les étapes d’une écriture. L’outil propose un schéma d’écriture.
Rémi Mathis
Wikipedia a été créé en 2001. On a assisté d’abord à un mouvement de grande méfiance, qui a culminé en 2007, puis à une légitimation. Il se place aujourd’hui au 6e rang français et mondial des sites les plus consultés.
Il reste encore des détracteurs : Wikipédia détruirait les capacités de réflexion et favoriseraient les copier-coller, le plagiat (voir l’enseignant qui avait modifié la notice de Charles de Vion d’Alibray).
Les pratiques doivent évoluer chez les élèves mais aussi chez leurs professeurs : beaucoup de gens utilisent Wikipédia mais peu la connaissent vraiment, notamment les onglets historique et discussion).
D’un régime de la rareté de l’information à l’abondance : il faut désormais apprendre ce qu’est la recherche d’information (complémentarité papier/internet), savoir ce qu’est une source, comment on l’évalue et on l’intègre à un discours, apprendre comment on rédige (notamment en collaboratif).
Avantages pédagogiques : le texte sur wikipédia est utile, il sera lu (responsabilité). Apprendre à écrire de manière correcte pour être utile aux autres et respecter les règles est indispensable.
Cadre particulier de l’écriture sur wikipedia : on sait qu’on va être lu, donc on est attentif (citations, orthographe, typographie).
Wikipedia : 20 millions d’utilisateurs par mois en France. Les élèves l’utiliseront de toute façon, aux enseignants de faire qu’ils sachent l’utiliser correctement.
Le livre papier est un produit fini, dont toutes étapes de la rédaction sont cachées. Sur wikipedia, toutes les étapes de la rédaction sont mises en valeur (connaissance en mouvement, discutée).
Gustavo Gomez-Mejia
Posture de jésuite : le plagiat est le démon mais il faut le comprendre pour pouvoir combattre l’adversaire.
Auctorialité vsreproductibilité. Fidélité vs originalité.
Le copier-coller n’est pas neutre.
Mémoire du copier-coller : deux bords textuels entre idéologie et culture. Vient d’un problème très ancien, qui est celui de l’intertextualité (Barthes : bord plagiaire et bord subversif).
Strates mémorielles autour du copier/coller :
1- figures anachronique du moine copiste, ultra fidélité récompensée,
2- Strict respect de la fonction auteur : auctorialité totémisée,
3- originalité érigée en valeur dominante (Gide, besoin d’originalité à tout prix) : reproductibilité dévaluée,
4- créativité posée comme valeur émergente : esthétique post-moderne du remix et du mashup : reproductibilité revalorisée.
Pratique banale du ctrlC/crtlV : est-ce une reprise respectueuse ? Un création postmoderne ?
Digital literacy :
1- accoutumance aux rythmes et routines intellectuelles des machines textuelles (invitation à s’approprier n’importe quelle oeuvre comme document-fichier).
2- Promesses décomplexées de l’intelligence collective (noblesse encyclopédique à toute sortes de données, souvent produites par des internautes pris dans les filets rhétoriques du partage).
3- Abondance des ressources susceptibles de plagiat (Persée, Cairn, mais aussi El rincón del vago) : autorités de facto. Face à cette offre, essor des outils anti-plagiats : solutions ad hoc.
La commodité du copier-coller, doublée d’un méconnaissance des régimes de citation, semble à l’origine de nombreux plagiats : un travail sur l’effort citationnel s’impose.
Il reste un travail important à entreprendre pour faire prendre conscience de ce qu’est un style rédactionnel, sur d’éventuelles anomalies éditoriales (balises résiduelles).
L’autorité des sources ne peut reposer que sur la popularité algorithmique de google ; les étudiants doivent discerner ce qui fait la qualité/crédibilité/scientificité d’une source.
Alexandra Saemmer
Concernant la citation, Antoine Compagnon a introduit les idées de Narcisse et de Pilate. La citation a elle-même constitué un mode de renvoi plus ambigu qu’il n’y paraît : c’est à la fois le modèle ambigu du miroir de Narcisse et en même temps l’empreinte de Pilate. L’auteur peut toujours se défausser en désignant les guillemets (ce n’est pas de moi, mais de l’autre).
Études humanistes et culture numérique
Aurélien Berra
Pour une définition, voir l’article d’Aurélien Berra.
L’expérience de la manipulation des corpus permet de déceler tous les avantages et les insuffisances des outils.
Digital humanities : appelées au départ humanities computing, c’est-à-dire l’informatique dans le champ des humanités. Le terme employé aujourd’hui a été demandé par un éditeur, c’est un terme marketing.
Willard McCarthy, Humanities computing (voir http://dhhumanist.org/).
Ce champ déjà constitué réfléchit sur lui-même et ses pratiques depuis une cinquantaine d’années. Il a marqué un tournant avec l’émergence du web : passage à autre chose que la simple computation.
En France, le terme utilisé est aussi humanités numériques mais aussi digital humanities (francisé !). On remarque que l’expression humanités digitales commence aussi à se répandre (notamment au THATCamp).
Intérêt du numérique : conserver cette dimension de calcul et insérer tout ce que le numérique change dans nos sociétés.
Mot humanités : discipline qui émerge ou coalition stratégique ? Plutôt un moment ou un mouvement, où il s’agit de réintégrer les traditions dans des pratiques nouvelles. Pluralité de langues, de disciplines et des futurs.

Pas de master ni de doctorats en France pour l’instant.

Je reporte ici quelques bribes twittesques, à moins qu’il ne s’agisse d’une remarque à la fin de l’intervention (ce qui revient un peu au même).
Pour Etienne Candel, envisager l’informatique en termes d’outils et d’usages permet d’évacuer les faux problèmes. Pour Aurélien Berra, l’étiquette humanités numériques est importante maintenant : c’est un moment, mieux un mouvement.

Michel Bernard
Aux Etats-Unis, les humanités numériques englobent le droit, mais en France ? De même, est-ce que les lettres appartiennent aux SHS ?
Le terme humanités numériques est un slogan opérationnel, qui permet de travailler ensemble.
Il faut sortir de la logique des pionniers : aujourd’hui, nous n’avons plus le choix d’adopter ou pas les technologies. La question est désormais de savoir comment les utiliser.
Les études littéraires par ordinateurs peuvent être envisagées selon 3 directions : 1- constitution de corpus : les établir, présenter, éditer. 2- diffusion des connaissances : publications en ligne, l’édition savante se met enfin à la diffusion en ligne des revues, colloques, etc. 3- création numérique : notre boîte à outils critique n’est plus pertinente pour juger des nouvelles créations.
Michel Bernard a expliqué qu’il enseignait le fonctionnement des bases de données, tristesse d’Olympio de la bibliothécaire…

Rendez-vous l’an prochain

Que dire pour conclure cette série de billets ? Que je ne regrette absolument pas le temps pris pour assister à #pnflettres. Voilà trois journées extrêmement enrichissantes qui mettaient l’accent sur bien des questions que je me pose aux quotidiens, en observant les pratiques des lecteurs. Plusieurs des interventions m’ont donné envie de m’inscrire en master 2, moi qui suis de la dernière génération des maîtrises.
C’est un comble, vu la qualité du wifi cette année, mais c’est le livetweet de l’année dernière qui m’avait donné envie d’assister au colloque. J’espère que les maigres tweets qui ont été publiés ces jours-ci piqueront la curiosité de quelques-uns et qu’ils viendront l’an prochain. Il faut ajouter que #pnflettres c’est gratuit, même si vous n’êtes pas enseignant ! C’est une chose si rare actuellement qu’elle mérite d’être soulignée.
Quelques regrets de bibliothécaire : si l’on exclut les collègues conservateurs qui intervenaient, je crois que les bibliothécaires dans la salle pouvaient se compter sur les doigts d’une main. C’est tellement dommage. Les enseignants du secondaire et les universitaires ont compris l’intérêt de travailler ensemble face aux mutations du numérique, et nous ? 

« Je fais de la philologie grecque, je lis des manuscrits byzantins (plus souvent sur des microfilms que sur les parchemins, d’ailleurs) et je viens de lire un roman sur ma tablette. C’était le premier texte long et de fiction que je lisais sur un écran d’une façon continue. » En somme, le texte est polymorphe. C’est un fait ancien, mais aussi une réalité concrète pour nombre de lecteurs, dont je fais partie. Si je suis un amoureux des manuscrits, des livres, c’est avant tout le texte qui m’importe. Et s’il faut se battre pour des supports, ce n’est pas pour eux-mêmes, mais bien pour ce qu’ils permettent, à savoir une forme de communication, une forme de culture, une forme de réflexion.

Faire des humanités numériques”, Aurélien Berra

Le rendez-vous des lettres #3 : deuxième journée

Suite des notes prises à #pnflettres, toujours sans wifi… Ceci n’est pas un compte-rendu, juste des bribes saisies sur le vif. D’ailleurs, un véritable compte-rendu se serait arrangé pour ne pas intituler « Le rendez-vous des lettres #3 : deuxième journée », comme je l’ai maladroitement fait ci-dessus !
 
La matinée était consacrée aux « créations littéraires et arts numériques : entre contraintes, héritages et renouvellement des formes. »
 
Alexandra Saemmer
La littérature numérique est née dans les années 60, ce n’est pas un phénomène récent.
Le succès des tablettes est en train de le rendre possible l’existence de la littérature numérique.
Les réticences vis-à-vis du numérique (froideur de l’ordinateur, odeur du papier) s’expliquent par le fait que les utilisateurs attendent autre chose des supports numériques : la dimension ludique n’est pas à exclure.
Sur internet, la pratique de la vérification de l’information n’est pas à négliger : le texte numérique se trouve associé à une connaissance explicite.
La démarche de la littérature nativement numérique est expérimentale : elle est une littérature qui résiste, critique et questionne à plusieurs égards. Elle résiste à une culture du calculable.
L’un des courants les plus anciens : le générateur de textes, avec Jean-Pierre Balpe. Cette formes pose la question de la place de l’auteur et de l’inspiration. En creux, la littérature générative montre surtout ce qui n’est pas automatisable dans la littérature. Pour Calvino, une littérature automatisée serait classique car elle est soumise à des règles, des stéréotypes et des normes. Voir le générateur philosophique sur charabia.net
La littérature numérique résiste à l’idée que le texte n’est qu’un texte. Elle résiste aussi à l’idée qu’un récit doit raconter en mettant de l’ordre dans le chaos : après guerre, c’est précisément le chaos qu’ont exploité les auteurs, par exemple dans le Nouveau Roman. L’hypertexte permet de naviguer dans ce chaos.
La littérature numérique sensibilise aux dérives de la lecture numérique, notamment le clic frénétique.
Serge Bouchardon
La manière dont on a abordé cette littérature a évolué : dans un premier temps, approche théorique centrée sur l’hypertexte, ensuite une étape analytique, critique, qui s’intéresse à l’interprétation des oeuvres.
Il existe une tension entre le programme et l’écriture : elle pose la question de savoir si une écriture programmée a du sens ? Tension créatrice (Simondon).
Alexandra Saemmer
Beaucoup d’auteurs questionnent le rôle des outils et leur influence sur leur oeuvre même dans le cadre de la création numérique. Les auteurs triturent et questionnent des outils qui ont été conçus pour autre chose que de la littérature.
Bertrand Gervais
L’ordinateur n’est plus un outil, il est devenu un média.
Nicolas Taffin
L’auteur s’affranchit désormais du schéma d’édition traditionnel.
Bertrand Gervais
Particularité des textes numériques : avant de les comprendre, il faut savoir les manipuler.
A partir d’internet, les hypertextes deviennent des hypermédias.
Nous sommes à un moment où les deux cultures coexistent, où les textes essaient de s’adapter au numérique.
L’écriture numérique est très variée : du simple blogger ou wordpress, à l’utilisation de flash et prezi, etc.
Bleu orange : revue de littérature hypermédiatique.
Avec le livre numérique, on est passé de la mécanique à l’électrique : il n’y a pas de dématérialisation.
Serge Bouchardon
Il existe une tension entre le numérique et la création littéraire.
La littérature numérique a une valeur heuristique. Elle permet de faire retour sur la littérature en elle-même : notions de texte, récit, littérarité, etc.
Le texte numérique consiste en deux types de texte : le texte codé (forme d’enregistrement) et le texte qui s’affiche à l’écran (ses formes de manifestation peuvent être nombreuses).
Le récit devient interactif : on assiste à un déplacement de la clôture en tant que fin de récit, vers la clôture en tant que fin d’œuvre.
Son hypothèse est que les figures spécifiques à l’écriture interactive s’appuient davantage sur des figures de manipulation que sur des tropes.
 
Alexandra Saemmer
Il s’exprime une tension entre format et forme.
J’ai malheureusement dû sortir pendant l’intervention de Nicolas Taffin, dont je n’ai entendu que la fin, passionnante. Si quelqu’un a des notes, même quelques lignes, je prends !
« Écrire web » ou comment s’invente la littérature aujourd’hui ?
Patrick Souchon
Le web littéraire renouvelle la dimension dialogale qui était celle des salons littéraires.
Xavier de la Porte a animé l’après-midi avec un humour cinglant
Le web littéraire est traversé par la notion de familiarité, développée par Alexandre Gefen. Il faut s’en servir, mais ne pas en être dupe non plus.
Gilles Bonnet
L’écriture numérique pose la question des instabilités : autant de défis lancés aux catégories et aux notions habituelles de l’analyse littéraire.
La notion d’auteur même d’auteur est en cours de mutation : se développe une proximité avec l’instance du lecteur. Les travaux d’Alain Viala le montrent. (voir les Vases communicants).
Il se développe une proximité entre auteur instable/insaisisable et des lecteurs qui ne le sont pas moins.
Dans sa tentative de délivrer des certificats de légitimité, l’institution avait cru trouver des remparts catégoriels : d’un côté la para-littérature et de l’autre la vraie littérature avec un auteur éloigné des lecteurs. Les nouvelles formes qui émergent brouillent ces pistes.
Les interventions littéraires sur le web sont désormais polyphoniques et poreuses. S’ajoute une pratique du bouillonnement anonyme : beaucoup de blogs sont anonymes, tenus par des auteurs qui veulent des ateliers à ciel ouverts. La figure de l’auteur s’érode : internet s’expérimente comme un milieu décentré ou acentré (décentrement de l’espace temps numérique, cf. lieu d’être du créateur chez  Maingueneau).
« J’habite pour toujours un bâtiment qui va crouler », écrit Baudelaire. L’auteur aujourd’hui s’installe dans quelque chose d’instable, à la double dimension : instabilité auctoriale et instabilité du texte. Le texte aux multiples stabilités est inachevé et inachevable, car le web autorise les repentirs et les compléments. La structure de la liste peut servir ces versions.
On voit émerger une poétique des seuils, du liminaire : le textuel s’est déjà ouvert à l’iconique. Le lien hypertexte est formulé en partie déjà en fonction de son autre, c’est-à-dire de ce à quoi il va renvoyer. La scansion, la métrique du texte numérique est rythmée par les hypertextes.
Le succès des écritures à contrainte sur internet s’explique par le fait qu’ils accompagnent la performance (cf. les travaux de Zumthor sur la performance).
L’imprévu est réinstauré dans l’œuvre numérique.
Après l’intervention de Gilles Bonnet, qui a eu la délicate attention de choisir ses exemples chez les auteurs présents sur scène, j’avoue, j’ai cessé de prendre des notes pendant les suivantes. Plusieurs raisons à cela ? Olivier Ertzscheid avait déjà mis en ligne la trame de son propos. Lisant le blog de Lionel Maurel, je connaissais les sujets qu’il aborderait et j’avais moins besoin de fixer mes souvenirs. 
 
Et le pecha kucha ?
 
Impossible de prendre des notes pendant les performances. Ce n’est pas l’envie qui m’en manquait à certains moments – je suis une compulsive du carnet de citations – mais la salle était très silencieuse et le clavier aurait dérangé (c’est la tablette qu’il aurait fallu pour noter).
 
On peut retrouver sur la toile des trames et des traces de beaucoup d’intervenants :
Avec eux se trouvait une participante qui ne figurait pas sur le programme mais qui pourtant était très présente, c’est Maryse Hache.
Les interventions étaient scindées en deux parties, entre lesquelles a eu lieu une intervention aussi belle qu’indispensable de François Bon, « paradoxes de la mutation numérique du livre« .
Il faut citer aussi Cécile Portier bien sûr, Alexandra Saemmer encore et Luc Dall’Armellina qu’on a vus plus tôt dans la journée.
L’épisode #4, dernier de la série #pnflettres, très prochainement sur votre écran !

Le Rendez-vous des lettres #2 : table ronde, nouvelles textualités, nouvelles humanités ?

Suite des notes prises lors de la première journée de #pnflettres. Même remarque que précédemment, il peut y avoir des erreurs dans ces lignes, saisies à la volée. Un autre tweetdoc pour archiver le livetweet que je n’ai pas pu suivre en direct, à cause du wifi au compte-goutte. 
NB, dame BnF : un tweetdoc relu le soir est au livetweet ce qu’une captation vidéo est au théâtre…

Table ronde avec Milad Doueihi (université de Laval, Québec), Frédéric Kaplan (école polytechnique de Lausanne), Yves Citton (université Grenoble 3), Emmanuel Souchier (CELSA), animée par Lucile Trunel (BnF)

La dimension globale et culturelle du numérique est essentielle. Le numérique est une nouvelle culture à penser comme une dimension de l’humain.

Milad Doueihi
Le mot  numérique est entré rapidement dans notre vocabulaire et les usages diffèrent. Sa définition reste floue : il désigne à la fois des manières de faire, de lire, d’interagir et de faire société, sans qu’on arrive à le définir de manière consensuelle.
Le numérique au départ est d’abord une branche de l’informatique, avant de devenir une industrie. Il n’est devenu culture qu’ensuite. Pourquoi ? La culture peut se définir comme quelque chose à savoir pour appartenir à un groupe : le numérique implique des manières de savoir essentielles pour prendre part aux groupes aujourd’hui. Le numérique est aussi au coeur de la valeur de partage.
Il est essentiel de se rappeler que le numérique associe une dimension informatique formaliste à une autre dimension qui cohabite avec des perspectives historiques et anthropologiques notamment.
Le fétichisme du livre est une véritable exception culturelle française ! De Mallarmé à Blanchot, avec entre les deux Borges : ils ont contribué à la construction d’une idée de l’oeuvre (labyrinthe), dont on s’éloigne peu à peu. Chez Blanchot se trouvait déjà l’interrogation d’une spatialité de l’oeuvre.

Yves Citton 
Qu’est-ce qui se passerait si à la place de ces mots à la mode, on parlait de culture de l’interprétation ? Il faut reconnaître cette espèce de grande division entre culture scientifique et culture humaniste, avec les données opposées à l’interprétation. Il faut reconnaître qu’il y a une différence entre elles mais surtout affirmer leur complémentarité.
Les humanités sont des pratiques réfléchies de l’interprétation. Quatre critères peuvent être établis pour la complémentarité entre économie de la connaissance et interprétation.
– du côté de l’économie de la connaissance, accélération et rapidité. Côté culture de l’interprétation : lenteur nécessaire, limite de l’étude à un corpus restreint (une page, un sonnet : Yves Citton a pris l’exemple de l’explication de texte) et ressassement sur le texte.
– le mode de connaissance oscille entre une reconnaissance très rapide de quelque chose qui s’inscrit dans des catégories pré-paramétrées (barcode par exemple) versus une découverte de significations inédites du côté de l’interprétation.
– le statut de la communication : d’un côté, une connexion intense pour avoir accès à des flux. Plus on communique, plus le savoir est enrichi (économie de la connaissance). De l’autre, une suspension de la communication (arrêter son portable dans la classe), c’est-à-dire le luxe d’une vacuole qui n’oblige pas à être réactif à des sollicitations permanentes.
– l’économie de la connaissance nous dit que l’information doit être vraie. En même temps, nous avons besoin d’une multiplicité d’interprétations possibles, il s’agit de construire des subjectivations.
On a donc besoin de l’interprétation pour construire l’économie de la connaissance à notre profit.

Emmanuel Souchier
Pour lire une oeuvre de patrimoine, que nous faut-il aujourd’hui ? Un savoir-lire et un savoir-écrire. Les lettres sont en grande difficulté, pourtant elles sont l’avenir. Pour vivre le numérique, nous devons être des citoyens lettrés.

On a coutume de dire que l’ensemble de nos productions médiatiques est fragmentée et fragmentaire. Or  la pratique du fragment remonte à l’Antiquité. Peut-elle éclairer les conditions du savoir-lire/écrire ?
La rhétorique guide, accompagne, commande son lecteur. Le fragment, lui, postule la présence d’un lecteur éminemment actif. C’est au lecteur de faire le lien, d’élaborer l’articulation de la signification. C’est une invitation à la littéracie : entre chaque fragment, un blanc. Au lecteur de les vivre, les lier, les lire et les signifier. Entre les fragments se trouve un espace de la signification, de l’interprétation. Ce sont les fameux hypomnemata, des espaces où prendre le temps de soi au creux de la lecture.
La pratique du fragment est une pratique de lettré, qui est tout sauf démocratique. Si nous le goûtons, c’est que nous possédons les savoirs et les savoirs-faire des lettrés.
Le lecteur de fragments veut participer à la production du texte. C’est une revendication de privilégié, qui repose sur un socle d’apprentissages déjà acquis.
Le fragment se construit en opposition à la rhétorique. Il implique un statut de lecteur/auteur/acteur.

Frédéric Kaplan
Exemple des cartes : ce sont des représentations régulées dominées par des règles d’usage. Une carte, ça s’apprend (règles, imitation). Ces dernières années, les formes se sont mécanisées, puis stabilisées : on a assisté à un basculement des règles d’usages. Auparavant, on achetait une carte, puis un changement s’est opéré, notamment avec google maps : toutes les cartes du monde sont disponibles, gratuitement. On peut zoomer de manière continue. On peut aussi annoter, faire des ajouts, partager et insérer la carte dans d’autres pages. On y  a perdu la protection contre la pluie qu’on pouvait avoir avec les cartes papier qui nous abritaient !
Passage de l’outil à la machine : la machine est un outil qui incorpore ses propres gestes. C’est une transition intéressante que celle des cartes actuellement : on vous offre l’usage des cartes parce qu’on imagine que vous allez les enrichir.
Dans les livres numériques, si les gestes sont intégrés, la stabilité ne l’est plus. A l’avenir, n »assistera-t-on pas à un échange des traces numériques contre la gratuité du livre ?
Le livre diffère de la carte car il est un volume. Le livre est en trois dimensions, c’est un conteneur. Il renferme des objets en deux dimensions, comme images et diagrammes. La mécanisation du livre consiste à trouver des contenus mis en espace.
Pour Paul Otlet, « le livre sera en croissance continue ». C’est un modèle encyclopédique. La forme encyclopédique a toujours détesté la forme close de l’objet livre. Elle a accompagné l’évolution du numérique. Aujourd’hui, la société considère que les formes closes sont passées de mode : importance de l’interopérabilité, de la standardisation des contenus.
Il existe encore des poches de résistance, qui ne sont pas perçues comme telles, de ceux qui pensent qu’il existe des formes numériques fermées : elles prennent la forme des applications. Le livre pour enfant (village gaulois) est dans le monde numérique le domaine le plus innovant où on expérimente des nouvelles formes de livres.

Milad Doueihi
Nous avons basculé d’une économie de la rareté (savoir-lire, littéracie) à une économie de la surabondance. 
Ce que nous vivons aujourd’hui est dans la continuité de l’héritage conflictuel des Lumières : on relevait une opposition entre une forme de tâtonnement chez Diderot face à une forme plus mathématique, qui est celle de D’Alembert. 
Pour garantir l’autonomie du lecteur, il faut qu’il accepte de vérifier : la pratique philologique devient la méthode critique. Aujourd’hui, le défi de la formation, le défi pédagogique des lettrés est d’essayer de faire passer cette méthode critique.
Le fait de savoir coder, en ce sens, constitue un véritable contrat social. C’est une pratique de lettré (cf. Donald Knuth).

Yves Citton
Passage d’une économie de la rareté à une économie de la surabondance.
La première rareté est notre temps d’attention. On assiste à une énorme transformation économique, on ne se rend pas compte que, nous lecteurs, que la richesse est dans notre temps d’attention.
La question de l’économie de l’attention n’est pas nouvelle. La rhétorique, c’est déjà essayer de capter et soutenir l’attention. Et au 18e, tout le monde se plaint déjà qu’il existe trop de livres, que tout le monde publie n’importe quoi !
C’est l’interdépendance intensifiée et globalisée qui rend l’attention de nos semblables de plus en plus cruciale. L’économie mondiale repose tellement sur le fait qu’on aime telle marque ou telle autre, que ce fonctionnement de l’attention conditionne désormais toute l’économie réelle.
Il faut donc passer d’une économie de l’attention à une écologie de l’attention.
Du point de vue de l’interprétation : l’attention n’est pas seulement du temps mais elle est aussi constituée de qualités. L’interprétation peut se concevoir comme un régime attentionnel particulier : elle sous-entend une isolation dans une vacuole, une immersion. Elle oppose l’attention, qui peut être captive, à l’alerte, volontaire : à moi de voir ce qui fait problème dans le texte.

Emmanuel Souchier
Pour André Leroi-Gourhan, l’outil constitue une externalisation de la mémoire humaine.
Frédéric Kaplan
Le modèle que nous utilisons a 30 ans. C’est le modèle Xerox (vendeur de photocopieuses !), le fameux Wysiwyg. C’est un modèle qui nous contraint : nous vivons dans la culture de l’imprimé. Nous ne vivons pas dans la culture numérique tant que nous utilisons word et powerpoint !
Le web s’est construit sur un modèle du document papier. L’hypertexte, par exemple, est un système issu du document papier.
Les manières de citer devraient être aujourd’hui différentes du couper/coller. Il devrait être interdit de couper/coller pour pouvoir citer en permanence car la duplication vient du monde imprimé. La question est désormais celle de l’accès à nos fichiers. 
La notion d’immersion dans le livre file la métaphore aquatique : il y a des livres jacuzzi et des livres mer du Nord ! Pourtant, même dans ladite lecture immersive, on lève les yeux : c’est déjà une respiration, une vacuole, déjà une idée, une annotation à venir.

Yves Citton
Fétichisme du livre : est-ce que les nouveaux médias qui impliqueraient un certain régime attentionnel n’empêcheraient pas la sacralisation du texte ?
150 ans de philologie ont produit quelque chose : peut-on le conserver ? (exemple des différentes éditions de Cyrano, sur la toile : français partiellement modernisé, pas du tout, totalement. Flou total).

Milad Doueihi
Dans un certain contexte, il y a une nécessité de conserver une tradition philologique. D’un autre côté, on se heurte à la sacralisation du livre avec une attitude presque messianique. Un déplacement du statut sacralisé et de la légitimité des auteurs est en train de s’opérer, créant des conflits de légitimité.
Alain Viala a consacré sa thèse à la renaissance de l’écrivain. Aujourd’hui, on assiste à la renaissance du lecteur, qu’on peut mettre en parallèle avec la naissance des logiciels libres et de la première licence GNU. Tout lecteur est déjà un auteur.

Emmanuel Souchier
On doit arriver à considérer le code comme partie intégrante de la pratique d’écriture. Il existe une tension entre la très grande littéracie que demande cette pratique et l’usage du grand public.
Frédéric Kaplan
L’arrivée du lectorat romanesque et populaire au 19e siècle a formé un lectorat qui était prêt à la lecture de la Phénoménologie de l’esprit. Il faut être extrêmement attentif aux formes de lectorat populaire : l’attention longue existe toujours, notamment avec les séries télévisées qui gardent leur public plusieurs années. Il est  fort possible que les formes intellectuelles qui émergent sont celles qui seront prêtes à accueillir les pratiques lettrées de demain.
Yves Citton
Aujourd’hui, on dépend tous des programmes de façon intime mais on est complètement illettré face à la programmation et aux logiciels. Aller derrière la machine constitue un enjeu politique et culturel. Il faut donner aux jeunes générations la possibilité de comprendre les programmes et la capacité d’en développer (éthique hacker). Les humanités numériques doivent aussi se poser la question du logiciel libre.

Le rendez-vous des Lettres : conférence inaugurale, Antoine Compagnon

« L’œuvre et l’auteur à l’heure du numérique » était le titre de la conférence inaugurale d’Antoine Compagnon au rendez-vous des Lettres. Ci-dessous quelques notes, certes relues, mais qui ne sont pas à l’abri des coquilles et autres erreurs de compréhension (les commentaires sont les bienvenus si vous en repérez). Prenez-les pour ce qu’elles sont, de simples notes, et non un véritable compte-rendu. Vous pouvez les compléter par ce tweetdoc du maigre livetweet de la matinée (ô wifi, seras-tu là demain ?)

Toutes les conséquences de la plongée dans le numérique n’ont pas encore été mesurées. Il s’agit de s’interroger sur les effets de la vie numérique sur notre expérience du monde, sur la formation à la lecture à travers d’autres supports.
Antoine Compagnon a longuement évoqué Proust sur qui va porter son prochain cours au collège de France. La première édition de la Recherche en collection blanche était pleine de coquilles, puis parution de la Pléiade dans les années 1950 et enfin des poches dans les années 1960.
1965 : lorsque le livre de poche a envahi le paysage de la librairie, on a entendu exactement les mêmes réticences que celles qui s’expriment aujourd’hui à propos de la dématérialisation des textes et de leurs supports numériques. Beaucoup s’interrogeaient à l’époque pour savoir si la culture du poche était encore de la culture !
Antoine Compagnon regrette que les humanités numériques soient très peu développées en France. La lecture ordinaire comme la lecture savante sont affectées par le numérique, de la même façon que les manières d’écrire et de travailler.
Il est revenu sur sa propre expérience de la lecture sur écran, qui a commencé par ses propres écrits. Auparavant, la place prépondérante de l’écriture manuscrite conditionnait son travail : son édition de Sodome et Gomorrhe est le fruit d’heures à recopier les cahiers de Proust rue de Richelieu, puis de saisie nocturne à la machine à écrire (offerte par Barthes qui ne parvenait pas à s’en servir !).
Les premières bases de données ont constitué un formidable outil de travail, notamment Frantext (TLFi), à partir des années 1960. Ce qui manque en France aujourd’hui est une base du français contemporain, comme il en existe aux Etats-Unis (COCA).
Gallica, Archives.org et Google books permettent de renouveler l’enseignement. De même, l’accès à distance aux bases de données facilite grandement la consultation (sa fréquentation des bibliothèques s’en trouve réduite). La recherche des ouvrages numérisés sur un sujet est devenue pour lui un préalable à toute recherche.
Antoine Compagnon a évoqué le sort de la revue qu’il dirige, Critique,sur Cairn depuis un an : à sa grande surprise, les articles vendus à l’unité ont généré un revenu important, dont il espère qu’il ne cannibalisera pas les abonnements.
Il a cité entre autres CAIRN, Revues.org pour les revues scientifiques, Factiva, Lexis Nexis pour sa lecture de la presse (et la bibliothécaire que je suis se disait, que voilà un bon guide de la documentation électronique, si les étudiants pouvaient l’entendre!). Néanmoins, il regrettait les difficultés récurrentes d’accès, notamment en ce qui concerne les mots de passe.
L’écriture a changé : et de citer Pierre Nora, qui prétendait il y a quinze ans savoir si le manuscrit qu’il recevait avait été écrit au traitement de texte ou à la main. Le traitement de texte générait des excroissances que ne permettait pas le papier. Le logiciel peut faire perdre de vue la structure d’un texte, ses développements et ses harmonies. Internet permet de développer le texte en ce sens qu’on peut en permanence ajouter des « bulles de lecture » et des boursouflements. Cela dit, Montaigne ne procédait pas autrement. Les étudiants de son époque, a rappelé Antoine Compagnon, cherchaient à déceler quelles étaient les différentes couches du texte de Montaigne. Les éditions récentes des Essais ne les distinguent plus : est-ce un effet du texte numérique ?
Sur le projet Gutenberg, on peut découvrir le profil des lecteurs La Recherche : Du côté de chez Swann est quatre fois plus téléchargé que Sodome et Gomorrhe ! On note une déperdition des lecteurs, la même que celle des éditions papier, mais un vrai lecteur de Proust est celui qui dépasse Sodome et Gomorrhe.
La BnF présente des éditions payantes de nombreuses œuvres. Elles entrent directement en concurrence des formats de poche. Sur la Fnac et Amazon, on peut trouver de très nombreuses éditions payantes d’œuvres du domaine public, établies à partir du texte du projet Gutenberg. Il y a là une véritable jungle des éditions : on ne sait pas à quelle édition du texte on a à faire. C’était déjà le grief fait au livre de poche dans les années 1960.
La lecture à l’heure du numérique devient plus parcellaire. C’est une lecture vagabonde, qui va en navigant. Mais peut-on lire la Phénoménologie de l’espritsans lecture attentive ? Certains prétendent qu’on en revient à une lecture d’avant l’imprimé.
Les humanités numériques permettront-elles de résoudre des questions d’attribution, des questions de classification générique ?
La numérisation a permis des découvertes formidables. Sur Gallica, au milieu des nombreuses éditions où l’on s’égare, on trouve les manuscrits et cahiers de Proust. En les comparant avec la presse de l’époque, numérisée elle aussi, il a été possible de trouver les sources de certains passages qui ne l’étaient toujours pas.
Les humanités numériques ont également fait basculer la recherche lexicale de l’étude des mots les plus rares à celles des mots les plus fréquents, insignifiants.
Aujourd’hui apparaissent des livres enrichis/hybrides (vooks en anglais) agrémentés de sons, d’images, dans le but explicite de rendre le livre de Gutenberg moins ennuyeux. Les premiers livres publiés sous cette forme sont des livres pratiques, qui s’y prêtent très bien. On publie aussi aujourd’hui des romans numériques multimédia. La notion de texte linéaire est peut-être en voie d’extinction mais nous n’avons encore rien vu : aujourd’hui, nous n’avons sous les yeux qu’un simple reformatage des éditions papier.
Il faudrait une édition de Proust où l’on clique sur la sonate de Vinteuil pour écouter Franck ou Fauré. On accepte bien les notes de bas de page, pourquoi pas les vidéos ? Bientôt le lecteur ne voudra plus prendre le temps d’aller sur Wikipedia, puis de revenir à son texte.
Antoine Compagnon a ensuite présenté l’édition amplifiée de On the road : elle est enrichie d’itinéraires de voyages, de croquis et d’une carte des citations sur les lieux traversés, mais aussi d’enregistrements. Même chose pour une édition de The Waste land, publiée avec brouillons et manuscrits.
N’importe qui peut mettre ses textes sur Amazon, remarque Antoine Compagnon : on n’a plus besoin d’éditeurs pour faire les auteurs.
Se pose la question de l’imagination avec le livre enrichi : dans Manon Lescaut, on lit « elle avait l’air de l’amour même ». La lecture doit bouleverser et une lecture trop accompagnée bouleversera moins. Dans une expérience de la lecture, le moment le plus important est ce trouble, cette inquiétude que l’on éprouve en pénétrant dans un livre nouveau. Ouvrir Swann, c’est rester troublé pendant au moins une trentaine de pages.
La question du livre enrichi est déjà tranchée pour Antoine Compagnon, dans la mesure où nous avons déjà accepté les annotations du livre de poche. Les premiers poche étaient en texte intégral mais n’étaient pas annotés. Les éditions annotées aujourd’hui sont un moins pour la lecture, une perte de ce qui est le plus troublant dans l’expérience du lecteur.
A une question qui lui a été posée sur le livre enrichi Antoine Compagnon a répondu en convoquant Proust, chez qui le livre est amplifié par les paperolles qui distendent en permanence l’argumentation. La Recherche a été écrit par un auteur ayant une sorte d’ordinateur dans la tête ! Il existe chez Proust, comme chez Montaigne, un « théâtre de mémoire », qui génère cette façon de composer si particulière, que l’on peut retrouver chez plusieurs grands écrivains.  

Métamorphoses du texte

Le temps que je remette en forme les notes que j’ai pu prendre aujourd’hui au rendez-vous des Lettres, consacré cette année aux « métamorphoses de l’œuvre et de l’écriture à l’heure du numérique » (#pnflettres de son hashtag, quand ce *#@!!=§ de wifi fonctionne à la BnF), un passage de Cyrano de Bergerac – qui a été cité aujourd’hui, texte que j’aime particulièrement car il prophétise nos pratiques de lecture de plus en plus nomades :
« Mais il fut à peine sorti, que je mis à considérer attentivement mes livres, et leurs boîtes, c’est-à-dire leurs couvertures, qui me semblaient admirables pour leurs richesses ; l’une était taillée d’un seul diamant, sans comparaison plus brillant que les nôtres ; la seconde ne paraissait qu’une monstrueuse perle fendue de ce monde-là ; mais parce que je n’en ai point de leur imprimerie, je m’en vais expliquer la façon de ces deux volumes. 
A l’ouverture de la boîte, je trouvai dedans un je ne sais quoi de métal presque semblable à nos horloges, pleins de je ne sais quelques petits ressorts et de machines imperceptibles. C’est un livre à la vérité, mais c’est un livre miraculeux qui n’a ni feuillets ni caractères ; enfin c’est un livre où pour apprendre, les yeux sont inutiles ; on n’a besoin que des oreilles. Quand quelqu’un donc souhaite lire, il bande avec grande quantité de toutes sortes de petits nerfs cette machine, puis il tourne l’aiguille sur le chapitre qu’il désire écouter, et au même temps il en sort comme de la bouche d’un homme, ou d’un instrument de musique, tous les dons distincts et différents qui servent, entre les grands lunaires, à l’expression du langage. 
Lorsque j’ai depuis réfléchi sur cette miraculeuse invention de faire des livres, je ne m’étonne plus de voir que les jeunes hommes de ce pays-là possédaient plus de connaissance, à seize et dix-huit ans, que les barbes grises du nôtre ; car, sachant lire aussitôt que parler, ils ne sont jamais sans lecture ; à la chambre, à la promenade, en ville, en voyage, ils peuvent avoir dans la poche, ou pendus à la ceinture, une trentaine de ces livres dont ils n’ont qu’à bander un ressort pour en ouïr un chapitre seulement, ou bien plusieurs, s’ils sont en humeur d’écouter tout un livre : ainsi vous avez éternellement autour de vous tous les grands hommes, et morts et vivants, qui vous entretiennent de vive voix. Ce présent m’occupe plus d’une heure ; enfin, me les étant attachés en forme de pendants d’oreilles, je sortis pour me promener ; mais je ne fus plus plutôt au bout de la rue que je rencontrai une troupe assez nombreuse de personnes tristes. »
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