Auteur/autrice : Cécile Arènes (Page 9 of 42)
Ayant passé un certain temps sur ces modifications, je croise désormais les doigts pour qu’aucun des services web que j’utilise ne procède à des changements dans leurs fonctionnalités…
Les profs ne sont pas armés intellectuellement pour suivre notre vie technicisée, ils n’ont actuellement aucune critique là-dessus. Il faut donc repenser en totalité l’Université. Il faut surtout comprendre que le numérique est en train de faire exploser ce qui est à la base de l’Université du XIXe siècle. Il faut repenser tout cela. En totalité. En fait, l’informatique est absolument partout, et on n’enseigne pas ça à l’école. On ne l’a pas même enseigné aux profs. Alors ils ne sont pas intellectuellement armés pour faire face à une génération bardée de smart phones, de caméras, de transformateurs. Il n’y a aucune réflexion sur ces changements, ni en France ni en Europe.
Au stand du Bruit du temps, une toute jeune fille essayait de vendre au monsieur derrière ses piles de livres une sorte d’agenda (si j’ai bien compris), qui lui permettrait d’être au courant de pleins de choses. Il l’écoutait gentiment. Elle lui a demandé ses coordonnées, le monsieur a dit son nom : « Jaccottet ». « Comment ?! » fit-la jeune fille. Je suis partie pendant qu’il épelait avec beaucoup de patience.
Au stand de la Fata Morgana, les œuvres magnifiques de Jaccottet père, que j’aurais bien rapportées à la demoiselle du paragraphe précédent… Quelques allées plus loin, au Fleuve noir, absorbées par les piles de polars qui s’étalent, deux nonnes.
Après ces étonnantes déambulations, retour au monde professionnel. Trois conférences sur les bibliothèques cette année, respectivement à 11h30, 11h30 et 12h. Fallait-il se couper en trois ? Heureusement, les collègues ont beaucoup twitté. La salle de la conférence « A-t-on encore besoin des bibliothèques ? » était minuscule et beaucoup sont restés debout pour l’écouter. J’ai donc tenté une incursion du côté « Les bibliothèques dans le nuage ». Au fond de la salle, le son était inaudible si bien que je suis partie à la présentation du Mémento de la médiation numérique au Cercle (de la librairie).
« Ces lieux [les bibliothèques] ont pour vocation d’offrir à des gens qui n’ont pas les moyens financiers, un accès subventionné par la collectivité, au livre. Nous sommes très attachés aux bibliothèques, qui sont des clients très importants pour nos éditeurs, particulièrement en littérature. Alors, il faut vous retourner la question : est-ce que les acheteurs d’iPad ont besoin qu’on les aide à se procurer des livres numériques gratuitement ? Je ne suis pas certain que cela corresponde à la mission des bibliothèques. »
Côté bibliothécaires malheureusement, j’ai l’impression qu’on ne sait toujours pas, à quelques notables exceptions près, où se situer dans ce monde de l’information qui se redessine, entre des usagers qui s’émancipent et des éditeurs qui passent en force. Les jours défaitistes, ceux où les amandiers fanent, je finis par me dire que je serai contrainte de changer de métier d’ici moins d’une décennie, tout en espérant que l’avenir me donnera tort.
Au moment de repartir travailler, je me suis arrêtée quelques instants encore pour écouter l’enregistrement de La grande table. Jean-Paul Enthoven y disait qu’il se sentait plus le contemporain de Benjamin Constant que de Michel Houellebecq. Quelques rires dans le public et il a ajouté que ça ne l’empêchait pas d’admirer beaucoup Houellebecq. L’autre invité, Nicolas Fargues, évoquait le style magnifique d’Echenoz. Echenoz, une phrase, un bijou. Subitement j’ai réalisé que j’avais presque oublié la littérature en venant au Salon du livre… Elle est bien loin de mon métier la littérature, je le sais déjà, mais je suis repartie nostalgique.
En ouvrant la porte de mon bureau, un rempart de livres sur ma table de travail. Plonger dans les factures, les commandes et toutes ces tâches mécaniques qui rongent le temps de ce que je pensais être le cœur du métier, transmettre (2). Dans les commandes arrivées, au moins cinq livres que je voudrais lire, autant m’attendent chez moi pour les concours malheureusement. Le bibliothécaire, qu’on caricature souvent comme aigri, ne le serait-il pas par conscience aiguë de la fuite du temps (de lecture) ?
Pas d’amandiers à Paris à ma connaissance, mais les cerisiers vont refleurir bientôt. Au jardin des plantes pour les stars d’essences rares, à Cour Saint-Emilion pour d’autres plus anodins, mais qui ne déméritent pas.
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Notes :
(1) J’ai choisi volontairement l’exemple d’Hillary Clinton : de moi on pourrait toujours trouver à dire que je ne suis qu’une bibliothécaire rêveuse et un peu gauchiste, d’elle pas vraiment 😉
(2) Mécaniques, pas techniques : ceux qui connaissent le blog savent que je n’ai aucun mépris pour la technique. J’emploie mécaniques pour les tâches qui pourraient être automatisées et ne le sont toujours pas : dire que le catalogage est mort n’a aucun effet performatif sur le quotidien du BAS lambda qui aimerait se consacrer davantage à la médiation.
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| Photo : Comcinco. CC : BY. Flickr. |
Vif regret, toujours pas de profils de postes directement sur Poppée, comme c’est le cas actuellement pour les seuls conservateurs. C’est tellement dommage : pour chaque poste, il faut contacter la bibliothèque, tomber évidemment sur un interlocuteur qui n’est pas d’emblée le bon (l’affaire se corsant si la tutelle est éclatée sur plusieurs sites), qui vous renvoie vers la personne à contacter, qui elle-même vous communique les profils en vous demandant de lui apporter une réponse à son envoi. Il y a aussi les établissements qui ne répondent même pas, mais c’est une autre histoire.
Si les profils étaient consultables sur Poppée, il me semble que les aspirants partants gagneraient un temps précieux de même que les directeurs d’établissement, qui ne passeraient pas leurs journées à envoyer des mails inutiles. C’est sans doute un vœu pieux…
Je m’explique : en tant qu’acquéreur de BU, nous sommes tous à la recherche de bibliographies et nous passons de longs moments à les débusquer sur les sites des UFR, sur les pages consacrées aux diplômes et aux concours, mais aussi sur les sites de sociétés savantes, d’associations et de libraires. Nous produisons nous-mêmes d’excellentes bibliographies mais sans forcément les signaler à l’ensemble de nos collègues.
C’est vraiment dommage car ce type de recherches est long et fastidieux, aucun site d’université n’ayant caché déposé ses bibliographies au même endroit. Or nous cherchons tous plus ou moins les mêmes ressources, au moins pour les licences et les concours. Les conseils bibliographiques donnés par les enseignants varient évidemment d’une université à l’autre, mais ce sont des mines pour enrichir ses fonds.
Pour éviter de réinventer l’eau chaude à chaque rentrée, je me disais que ce serait bien d’avoir un lieu où entreposer nos trouvailles : la page « Bibliographies » sur Bibliopedia est désormais ouverte.
Faisons-la vivre !
– En savoir plus sur les learning centres chez Olivier Le Deuff.
– Docélec (ter) : c’était le sujet qui faisait bruisser la « bibliotoile » en décembre, on avait trouvé des ouvrages coquins sur Gallica. Cette anecdote m’a fait me poser de nouveau la question de la maîtrise par les bibliothèques des bouquets de documentation électronique et plus largement de l’appropriation de ces grandes masses de contenus par les bibliothécaires en service public (réel ou virtuel).
– Débat : à la suite de l’article de Pascale Kremer dans Le Monde, « La médiathèque mute« , Yann Moix a réagi dans une tribune fort passéiste. Plusieurs collègues lui ont répondu, voir notamment chez Hortensius.
– Se pencher sur la question et avoir une idée de l’infini…




